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La visibilité et la participation des personnes handicapées est un pré-requis pour réaliser la promesse de la CRDPH de l’ONU

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Julien Lambert revient sur la proposition de Jérémie Boroy de 100% de personnes handicapées au CNCPH (Conseil National Consultatif des personnes handicapées). Pour une vraie représentation et pas que au CNCPH. Crédit photo : Assemblée Plénière du CNCPH.

Suite à la déclaration universelle des droits humains, au niveau des Nations unies plusieurs traités voient le jour afin de formaliser ces droits. Vers la fin du siècle dernier se pose la question d’un traité thématique sur les droits des personnes handicapées.

Sur la recommandation d’activistes handicapés proches du gouvernement mexicain, le Mexique relance en décembre 2001 la proposition de rédaction d’une convention internationale des droits des personnes handicapées auprès du 3ème comité de l’assemblée générale des nations unies[1].

Ils n’obtiennent « que » la création d’un Ad hoc committee[2] pour décider de la nécessité ou non d’une convention sur les droits des personnes handicapées, et non d’un comité formel, ce qui  permit une forte participation des personnes handicapées elles mêmes (pour en savoir plus[3]). 

La Convention Relative au droits des personnes handicapées (CRDPH) de l’ONU se situe dans le champ de l’égalité et de la non-discrimination. Elle n’a pas pour objectif de créer de nouveaux droits, mais uniquement de faire en sorte que les personnes handicapées bénéficient des mêmes droits humains que les autres. Elle prend le parti de l’égalité réelle plutôt que celui de l’égalité formelle (CRPD/C/GC/6).

Les articles 4.3 et 33.3, interprétés par l’observation générale 7 (ou GC7) du comité de suivi de la convention constituent une reconnaissance du rôle décisif des personnes handicapées elles-mêmes dans la négociation, le développement et la rédaction de la convention. La consultation et participation directe des personnes handicapées lors de la rédaction eut un impact positif sur sa qualité et sa pertinence [4].

En octobre 2021, dans ses observations conclusives sur la France et ses échanges avec les Organisations de Personnes Handicapées (telles que définies dans le GC7), le comité CRDPH identifie comme principale barrière au respect de nos droits l’article 1 de la loi de 2005, car celui-ci permet aux prestataires de “services” – notamment incompatibles avec l’objectif même du traité (A/HRC/37/56 par. 37) et / ou incluant la détention arbitraire et la torture au sens de la convention – de nous représenter (CRPD/C/FRA/CO/1 par.9-10).

En 2019, sous l’impulsion du président de la république, la secrétaire d’Etat Sophie Cluzel demande à ce qu’il y ait au moins 15% de personnes handicapées au CNCPH (relisez bien de quoi CNCPH est l’acronyme svp). Le CNCPH refuse, puis accepte, en déclarant que 15% serait “raisonnable”, mais en craignant qu’un jour les personnes handicapées n’y soient majoritaires [5].

Récemment, Jérémie Boroy, actuel président du CNCPH et personne handicapée a porté avec courage la revendication du 100% de personnes handicapées [6], au (accrochez-vous) CONSEIL NATIONAL CONSULTATIF des PERSONNES HANDICAPÉES (est-ce bien clair ?), et pose la question de sa potentielle évolution en autorité administrative indépendante de droits humains.

L’interdiction aux prestataires de services de nous représenter aurait dû apparaître comme une évidence pour s’épargner des conflits d’intérêts permanents (ils disent à notre place ce dont on a besoin et ce que l’Etat doit financer -> eux et leurs services). Mais en france on présuppose que tout le “monde serait bienveillant envers les personnes handicapées” (selon une approche du handicap essentialisante, rétrograde) et l’on refuse encore de prendre en compte la discrimination fondée sur le handicap dans l’élaboration des politiques publiques, ou d’envisager la nécessité de rééquilibrer les pouvoirs pour obtenir des services qui fonctionnent dans le sens souhaité.

Nous pensons nécessaire d’être ambitieux, afin d’aider l’Etat à cesser de financer certains “services” et de lui fournir une expertise scientifique pour financer des choses utiles :

  • La simple revendication d’un CNCPH conforme à sa dénomination ne suffirait pas à se conformer à la CRDPH et ne s’attaquerait pas à la source du problème, l’article 1 de la loi de 2005 doit être modifié.
  • La France pourrait peut-être se doter de dispositions législatives contraignantes vis-à -vis de l’exécutif lorsqu’il ne consulterait pas de manière substantielle les personnes handicapées, comme cela semble être le cas au Royaume-Uni [7].
  • Nous pensons que le CNCPH doit se conformer aux standards CRPDH, c’est-à-dire le GC7 qui est très exigeant.
  • Nous souhaitons attirer l’attention du gouvernement sur le paragraphe 11 du GC7 qui définit les Organisations de Personnes Handicapées. Les prestataires de services ayant commencé à créer des associations de personnes handicapées, nous pensons que seules les associations ayant “pour fondement les principes et droits consacrés par la convention” et qui y sont “ foncièrement attachées et s’engagent à les respecter pleinement” devraient pouvoir y siéger.
  • Le gouvernement devrait veiller dans sa composition du CNCPH à ce que tous les groupes de déficiences ainsi que tous les groupes faisant partie de notre société, par exemple les femmes, les enfants, les personnes âgées, LGBT+, racisées et exilées soient représentés (CRPD/C/GC/7 Par. 11 d. et e.) pour des raisons pragmatiques. Savoir qui a besoin de quoi, financer des choses utiles et pas n’importe quoi.
  • Pour des raisons d’accessibilité, il serait nécessaire pour nous (certaines déficiences coûtant facilement 10h / jour ou impliquant une forte faiblesse énergétique se traduisant en capacités de travail très restreintes) d’attribuer les sièges aux associations, qui pourraient faire tourner en fonction de qui a de l’énergie, du temps et de l’expertise en fonction du sujet abordé. 1 siège resterait 1 vote mais pourraient y transiter plusieurs individus. 

Nos voix sont essentielles, afin d’aborder de manière dépassionnée, concrète et pragmatiques nos problématiques, en témoigne :

Le fiasco de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mentale qui est en réalité une pratique discriminatoire (ne protège en réalité que de la peine de mort) et une violation de notre droit à un procès équitable (A/HRC/37/25 par. 35-36&39).

Comme affirmé par le changement de paradigme incarné par l’observation générale 1 sur l’article 12 CRDPH (CRPD/C/GC/1), la capacité juridique n’est pas divisible. La nier aboutit à la négation de l’humanité des individus.

Ici, notre violence serait irrationnelle selon une perspective essentialiste. Empêcher le déroulement d’un procès équitable en nous faisant dépendre de différentes lois (A/72/55 annexe par.14) empêche le système judiciaire de prendre en compte nos vécus, notamment les violences que nous subissons, de juger le plus justement possible (avec la classification de culpabilité et d’ex-culpabilité dont bénéficient les valides via les circonstances atténuantes, peines avec sursis etc) et le prive d’opportunités d’améliorer ses pratiques et procédures (le handicap faisant partie de la diversité humaine, il constitue un important vecteur d’innovations à ne pas sous estimer).

Cela est d’autant plus important du fait que la justice pose une condamnation morale au nom de la communauté, qui doit reconnaître d’où vient parfois notre violence. Il va de soi que les différences d’opportunités permises aux personnes handicapées par l’Etat, via diverses pratiques discriminatoires devraient être prises en compte comme circonstance atténuante.

C’est avec consternation que nous avons assisté pendant des mois à des propos hautement discriminatoires mais non compris comme tel de la part de magistrats, de politiciens et du garde des sceaux “la France ne jugerait jamais les fous” [8], ainsi qu’à l’invisibilité totale des premiers concernés ce qui ne peut que générer encore plus de ressentiment des personnes handicapées vis à vis de l’Etat.

Pour plus d’information sur ce sujet, notamment pour l’accessibilité du système judiciaire pour les personnes avec handicap intellectuel et ou psychosocial [9][10][11].

S’agissant du “débat” sur la fin de vie, il est de notre compréhension que la “Convention citoyenne sur la fin de vie” viole les articles 4.3 et 33.3 CRPD, ce sujet ne concernant que les personnes handicapées, il s’agit de droits des personnes handicapées. Cette convention n’est pas un formidable exercice démocratique, elle ne prouve que ce que l’on savait déjà : les personnes valides préfèrent mourir qu’être handicapées, elles pensent que nos vies ne valent pas autant la peine d’être vécues.

Si le CCNE arrive à comprendre que pour avoir le choix de l’euthanasie et / ou du suicide assisté, il faut que les personnes aient aussi accès à des soins palliatifs, cette vision médicale du handicap est pour nous très réductrice.

Les personnes handicapées n’ont pas le même espace décisionnel que celui des valides. Pour un choix libre et éclairé, il faudrait à notre sens réaliser la promesse de la capacité juridique universelle incarnée par le GC1 article 12 CRDPH [12]. La “capacité mentale” n’est pas une notion fixe, ni sérieuse scientifiquement. La tutelle, la curatelle et la coercition en santé mentale peuvent en réalité s’abattre sur n’importe qui. La terreur qu’inspire notamment la mort civile (tutelle) avec laquelle va la détention arbitraire à vie en institution [13][14] (A/72/55 annexe par.6) rend à notre sens impossible le consentement libre et éclairé.

Le droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société (CRPD/C/GC/5) n’étant ni réalisé ni faisant même partie du débat publique en France, des personnes pourraient choisir l’euthanasie ou le suicide assisté pour des raisons financières.

Rajoutons aussi qu’en général, quand les questions d’euthanasie ou de suicide assisté arrivent dans le débat public, les personnes handicapées luttent contre [15].

La seule façon de ne pas d’abord garantir nos droits humains civils et politiques les plus basiques afin de nous assurer une vie digne que nous pourrions accepter serait que ce sujet soit débattu dans un CNCPH conforme au GC7 CRPD. En effet par exemple, l’accessibilité est un débat permanent, et certains groupes pourraient avoir besoin de x tandis que d’autres de l’exact contraire. Parfois, il faut faire des arbitrages, si les personnes avec handicap intellectuel, développemental ou psychosocial pourraient avoir des inquiétudes ou lutter contre dans l’état actuel des choses, les personnes en fin de vie soumises à des douleurs que l’on ne peut pas soulager auraient un point de vue tout autre.

Un débat au sein d’un CNCPH (conforme au GC7 CRPD) sur les besoins et inquiétudes serait pragmatique tout en ayant le mérite d’écarter à la fois les eugénistes et les religieux. Cela nous semble être la meilleure solution pour ce sujet controversé, qui n’a par ailleurs jamais fait partie des priorités des personnes handicapées.

En 2002, avant la CRDPH et dans l’objectif de prouver sans l’ombre d’un doute l’absolue nécessité d’un traité thématique droits humains handis, Gerard Quinn* et Theresia Degener ont réalisé une longue étude complète concluant à l’insuffisance des organes de traités de l’époque pour promouvoir et protéger nos droits [16].

Alors que les autres autorités administratives indépendantes comme le défenseur des droits ou la CNCDH semblent incapable de comprendre que la ségrégation sous la forme la plus extreme comme c’est le cas pour l’institutionnalisation (A/HRC/52/32/Add.1 II. C.) ou différentes lois pour différentes personnes comme c’est le cas pour l’irresponsabilité pénale trouble mental (A/72/55 annexe par. 14) relèvent de la discrimination fondée sur le handicap et de violations de nos droits humains, nous tirons aujourd’hui le même constat de l’insuffisance des dispositifs actuels pour promouvoir et garantir le respect de nos droits au niveau national et rappelons que l’article 5 CRPD impose des devoirs positifs à l’Etat (CRPD/C/GC/6).

Nous pensons que la question de l’évolution du CNCPH en autorité administrative indépendante de droits humains est importante. Nous serons attentifs des débats et discussions de la CNH à laquelle nous ne sommes pas conviés, nous Organisation de Personnes Handicapées conforme au GC7.

Les gestionnaires ayant annoncé un boycott et ne pouvant plus reculer sous peine que leurs menaces ne soient plus jamais prises au sérieux [17], nous lançons un appel à Emmanuel Macron : “chiche ?”

*actuel Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées

Bibliographie :

[1] : History of United Nations and Persons with Disabilities – The first millennium decade https://www.un.org/development/desa/disabilities/about-us/history-of-united-nations-and-persons-with-disabilities-the-first-millennium-decade.html 

[2] : Ad Hoc Committee on a Comprehensive and Integral International Convention on the Protection and Promotion of the Rights and Dignity of Persons with Disabilities https://www.un.org/development/desa/disabilities/resources/ad-hoc-committee-on-a-comprehensive-and-integral-international-convention-on-the-protection-and-promotion-of-the-rights-and-dignity-of-persons-with-disabilities.html#:~:text=General%20Assembly%20resolution%2056%2F168,in%20the%20fields%20of%20social

[3] : Les fondateurs de la CRDPH racontent leur vécu de la rédaction https://youtu.be/c58IDoPffps

[4] : General comment No.7 on Article 4.3 and 33.3 – the participation of persons with disabilities in the implementation and monitoring of the Convention https://www.ohchr.org/en/documents/general-comments-and-recommendations/general-comment-no7-article-43-and-333-participation

[5] : Nouveau CNCPH : les personnes handicapées en force? Par Handicap.fr https://informations.handicap.fr/a-cncph-2020-boroy-handicap-12316.php

[6] : Futur CNCPH : des personnes handicapées et rien d’autre? https://informations.handicap.fr/a-futur-cncph-personnes-handicapees-34447.php

 [7] : Abreu, Laura. 2023. « The National Disability Strategy 2021: Content and Reaction ». https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/cbp-9599/ (25 avril 2023).

[8] : Irresponsabilité pénale, communiqué de presse du 25 avril 2021, site internet du ministère de la justice http://www.presse.justice.gouv.fr/communiques-de-presse-10095/archives-des-communiques-de-2021-12998/irresponsabilite-penale-33888.html

[9]: « Global Perspectives on Legal Capacity Reform: Our Voices, Our Stories ». Routledge & CRC Press. Part 1: Criminal Responsibility – Diversion & the Insanity Defence https://www.routledge.com/Global-Perspectives-on-Legal-Capacity-Reform-Our-Voices-Our-Stories/Flynn-Arstein-Kerslake-Bhailis-Serra/p/book/9780367473709 

[10] : « Voices for Justice international report – Humanising Justice ». Validity Foundation – Mental Disability Advocacy Centre. https://validity.ngo/projects-2/voices-for-justice/voices-for-justice-international-report-humanising-justice/ (25 avril 2023).

[11] : Hepner, Ilana, Mary N. Woodward, et Jeanette Stewart. 2015. « Giving the Vulnerable a Voice in the Criminal Justice System: The Use of Intermediaries With Individuals With Intellectual Disability ». Psychiatry, Psychology and Law 22(3): 453‑64. https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13218719.2014.960032?journalCode=tppl20 

  [12] : Brosnan, Liz, et Eilionóir Flynn. 2017. « Freedom to Negotiate: A Proposal Extricating ‘Capacity’ from ‘Consent’ ». International Journal of Law in Context 13(1): 58‑76.https://www.cambridge.org/core/journals/international-journal-of-law-in-context/article/abs/freedom-to-negotiate-a-proposal-extricating-capacity-from-consent/1C8E9586BE68B7EC07849CEF38135FA4

[13] : Report on disability-specific forms of deprivation of liberty April 2019 Prof. Eilionóir Flynn Dr. Mónica Pinilla-Rocancio María Gómez-Carrillo de Castro https://www.universityofgalway.ie/media/centrefordisabilitylawandpolicy/files/DoL-Report-Final.pdf 

[14] : The test of deprivation of liberty frameworks in the context of Covid-19 outbreak: comparative study of legal proceedings in France and UK a guest post by Maryna Zholud-Py https://thesmallplaces.wordpress.com/2020/10/26/guest-post-from-maryna-zholud-py-the-test-of-deprivation-of-liberty-frameworks-in-the-context-of-covid-19-outbreak-comparative-study-of-legal-proceedings-in-france-and-uk/

[15] : « Why Disability Rights Movements Do Not Support Euthanasia: Safeguards Broken Beyond Repair ». by Dr. Gregor Wolbring 1998. https://www.independentliving.org/docs5/Wolbringeuthanasia.html

[16] : Quinn, Gerard et al. « Human Rights and Disability ».https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/HRDisabilityen.pdf

[17] : Doctor who series 8 episode 1 Deep breath, Clara Oswald nous donne une leçon face aux ultimatums https://youtu.be/TCfvraWCh8Y 

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