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Tribune : SIA et Music ne représente pas les personnes autistes

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A la sortie de son premier film “Music”, SIA l’a décrit comme “Rain Man : The Musical, with girls”, trente ans plus tard, la manière dont la société voit le handicap, l’autisme en l’occurrence, n’a que très peu changé. 

“Rain Man,” le film qui a apporté un deuxième Oscar à l’acteur américain Dustin Hoffman, raconte l’histoire d’un homme d’affaire, Charlie (Tom Cruise), de moralité douteuse qui découvre lors du décès de son père, un grand frère institutionnalisé. Le père a laissé son argent à Raymond (Dustin Hoffman), sous tutelle de l’institution, et Charlie essaie de devenir le représentant légal de Raymond pour pouvoir profiter des millions que le père a légué à son frère. A travers l’histoire, Charlie est “guéri” de son immoralité par sa proximité avec son grand frère handicapé, et à la fin il renonce à l’argent et à chercher à gagner la tutelle de son frère, tout en promettant qu’il gardera contact et viendra régulièrement lui rendre visite dans l’institution. 

Le film est sorti vers la fin d’une longue période de politique de désinstitutionalisation aux Etat-Unis qui a restructuré la prise en charge de personnes handicapées ayant beaucoup de besoins d’accompagnement vers la vie en mixité dans la cité. Malheureusement, alors que c’est une revendication essentielle de la lutte des personnes handicapées, dans le contexte américain d’un système privé de santé, cela a facilité le déplacement de la responsabilité financière, médicale, sociale et éducative de l’Etat vers la famille.

Ce cadre politique est visible dans “Music” car nous voyons que le personnage autiste, Music (Maddy Ziegler), a une vie simple avec sa grand-mère. Elles ont un petit appartement à New York City. Quand la grand-mère décède soudainement au début du film, nous apprenons qu’elle n’avait rien à laisser à ses petites-filles. Moins réaliste, en revanche, pour une famille avec peu de ressources, c’est le manque de contact avec les travailleurs sociaux et l’absence de demandes d’allocations (handicap, alimentaire etc). Les allocations, étant diabolisées aux Etats-Unis depuis des décennies, et avec une politique de diminution de celles-ci, sont extrêmement difficiles à obtenir, même quand on se trouve dans des situations très précaires, telle Music et sa grand-mère, ou alors sa grande soeur Zu (Kate Hudson). 

Au lieu d’aides et aménagements concrets soutenus et fournis par une société soucieuse des droits de tous, on voit un monde où le handicap relève de la responsabilité de la personne concernée et de sa famille, un poids dont la solution est l’amour et la résilience. Cette vision du handicap et de l’autisme limite les discussions sur notre autonomie et engendre des débats sur notre humanité. Il nous positionne comme fardeau pour nos proches. Le film fait un contraste entre ce côté obscur et les scènes musicales pop color qui s’insèrent dans le film sans autre raison que de faire un showcase de la musique de Sia et des capacités de la danseuse Ziegler.

Quand la grand-mère de Music et Zu (court pour “Kazoo”) décède, Zu vient s’occuper de sa petite sœur handicapée. Comme dans “Rain Man,” ce frangin avec une mode de vie aux marges de la société ne veut pas de cette responsabilité. Elle est mythomane, toxicomane et dealer, majeure mais très immature. Vu qu’elle ne veut pas s’occuper de Music, elle met cette responsabilité sur les autres personnages à chaque fois qu’elle en a la possibilité, notamment le voisin africain, Ebo. Et ici commencent les stéréotypes. Avant de traiter les stéréotypes sur l’autisme, il est important de reconnaître que le film est bourré de stéréotypes nocifs de tout genre: l’africain/l’étranger plein de sagesse, le noir qui aide gentiment la bonne femme blanche qui ne s’y connaît pas, le noir martyr, l’africain séropositif, le père asiatique violent, la toxicomane, le gardien d’immeuble pas gentil avec une ambiance de white saviorism, etc. Sia s’est servi des personnes appartenant à des minorités raciales et handicapées comme accessoires à l’intrigue – des objets pour faire avancer son histoire – en les déshumanisant.

 Autre point en commun avec “Rain Man” : le mot “autisme” n’est jamais prononcé. Le public doit deviner le handicap particulier à partir des stéréotypes représentés : regard vide, casque 24h/24h, marche sur la pointe des pieds, réactions agressives non expliquées.

Cependant, nous voyons clairement que Sia n’a pas approfondi ses recherches sur l’autisme au-delà des simples stéréotypes. Music présente beaucoup de ces points devenus synonymes des TSA (Trouble du Spectre de l’autisme), mais n’a pas beaucoup des difficultés que beaucoup d’entre nous éprouvons quotidiennement. Les autistes avec ou sans déficience intellectuelle et oralisant.e.s ou non, avons souvent des conditions associées en lien avec le TSA : dyspraxie, dysrégulation émotionnelle, troubles d’apprentissage, troubles sensorielles, TDAH, anxiété, dépression, etc. Music s’habille et met ses chaussures seule sans signes de dyspraxie. Elle se brosse les dents sans aucune réaction négative, en rigolant et sans difficultés sensorielles visibles, alors que c’est une difficulté majeure pour beaucoup d’autistes et un facteur d’inégalité au soin. De même, elle se laisse brosser les cheveux et coiffer sans difficulté. Alors qu’elle a des difficultés, on lui donne beaucoup d’autonomie et elle sort de chez elle toute seule. Ceci est moins surprenant pour un public américain, car c’est assez commun aux Etats-Unis, mais la prise en charge communautaire implicite par les voisins qui veillent sur elle dans un quartier de New York est trop idéalisée. 

Dès le début du film, on peut se demander pourquoi Music n’a pas un moyen de communication pensé pour les non-oralisant.e.s car il en existe plusieurs. Parmi les plus connus, le système PECS qui utilise des petites cartes avec des images, permettant de communiquer visuellement, ou une CAA (Communication améliorée et alternative) qui sont des applications téléchargées sur une tablette permettant une personne non-oralisante de se communiquer à haute voix ou par écrit à travers l’appli. En effet, plus tard dans le film, le voisin lui montre comment utiliser une CAA, mais de manière trop simplifiée pour être réaliste selon les personnes concernées comme Hari Srinivasan ). Le film limite l’expression libre du seul personnage autiste en lui limitant ses possibilités de communiquer. 

Comme le créateur des méthodes comportementales destinées aux autistes, Ivar Loovas, SIA pense que les personnes autistes ne sont pas des personnes humaines et n’ont pas de pensée propre. Ces grosses lacunes de compréhension du fonctionnement des autistes de la part de Sia et compagnie renforce les stéréotypes de “vide”.

Effectivement, Music est montrée comme étant une coquille vide, plate et fade. C’est une représentation Bettelheimienne de l’autisme des années 50 de la “forteresse vide”. Elle ne fait que rigoler tout le temps avec les mêmes expressions sans complexité, cela donne une impression de vide et d’absence de personnalité. Ses stims (stéréotypies) et expressions faciales sont pas du tout naturelles : ses gestes répétitifs comme le “flapping” n’ont aucun sens, ce n’est pas relié à des émotions, des ressentis ou à une surcharge sensorielle.  Sia nous déshumanise : comme beaucoup de neurotypiques (non-neurodivergents), elle n’a pas compris qu’il y a un sens à nos mouvements répétitifs. Ces “stims” nous servent à nous apaiser en cas d’anxiété ou d’exprimer des émotions fortes telle la joie ou la détresse. Son Intérêt Spécifique (IS) pour les chiens semble aléatoire et peu explicite alors que les IS sont, en général, centraux dans la vie des personnes autistes. C’est une source de plaisir, de compréhension d’un monde chaotique, d’apaisement, de ressourcement en énergie. Dans l’histoire ils ne servent qu’à une chute, mais on passe à côté, encore une fois, du sens et du style de vie neurodivergent. C’est un choix volontaire de ne pas représenter les autistes comme personnes à plein titre, ayant des idées, des pensées, des opinions et des choses à dire.

De plus, Ebo, ce voisin bienveillant mais mal-informé, explique patiemment à Zu la pathologie de l’autisme de manière très simplifiée : il faut suivre ses routines, elle vit dans un autre monde sensoriel, elle ceci, elle cela, les autistes sont tous comme ça, etc. Quand Music est en plein meltdown à cause de situations provoquées par Zu, il la couche par terre et se positionne au-dessus d’elle, disant qu’il “l’écrase avec son amour.” Cette technique pour gérer les crises des autistes et handicapés psychiques a tué plusieurs personnes autistes aux Etats-Unis. Elle est condamnée par les associations de lutte pour les droits et elle est une violente source de traumatismes sans aucune efficacité prouvée. Pourtant, dans le film, la technique est montrée comme miraculeuse. Il faut écraser et rassurer, et la crise passera toute seule. Il n’y a aucune information expliquant pourquoi les autistes ont des meltdown ou comment les aider à se calmer tout en respectant leur autonomie corporelle. Le choix du faux, du dangereux et du spectaculaire a été fait et cette promotion nous met en danger.

De toute manière, il n’est pas la responsabilité du voisin d’aider Zu et Music. Les bonnes intentions ne suffisent pas, même de la part d’une personne ayant un membre de la famille qui avait le même handicap. Si on connaît un autiste, on connaît un seul autiste. Nous avons notre propre individualité et personnalité en fonction de la situation. Il faut un cadre organisé et des connaissances autour de l’autisme et des techniques respectueuses de nos droits et de notre autonomie. 

L’aide qu’Ebo peut apporter à Zu devient, très maladroitement, une relation amoureuse. Ils se connaissent grâce à Music, l’aide qu’il apporte à Zu semble être la raison pour cette relation entre deux personnes honteuses d’elles mêmes. Zu est le personnage abject qui trouve son humanité à travers sa soeur et Ebo qui s’attendrit. Les crises de Music servent juste d’outil pour rapprocher ces personnages neurotypiques, mais n’ont aucun rapport avec l’autisme au monde réel et n’ont pas de déclencheur visible. A regarder Music on pourrait croire que les autistes ont des crises “pour rien”.

A la fin du film, Zu prépare Music à une nouvelle vie dans une institution, mais à la dernière minute Music lui parle, disant pour la première fois autre chose que “make you eggs,” et lui demandant de rester.  Zu reprend sa sœur et elle va retrouver Ebo pour lui déclarer son amour. Ils chantent une mélodie  composée par la mère: “Music is the soothing saint/use me to feel all your pain.” Sainte Music chante sur scène, devant une salle de fête d’inconnus, sans anxiété alors que jusqu’ici elle n’articulait que quelques mots. C’est un miracle! Elle devient soudainement “normale” et “guérit”  grâce à l’amour de sa sœur et elle évite l’institution : c’est à dire la mort sociale.

C’est en fin de compte  une histoire banale et classique des représentations culturelles de l’autisme: l’enfant doit être “guéri,”  grâce au sacrifice de leurs proches  qui luttent contre l’autisme pour rendre l’enfant “normal.”  Ce combat sert à éviter la sentence réservée à la majorité des personnes handicapée : aller en centre spécialisé ou en hôpital psychiatrique qui est synonyme d’enfermement, d’absence d’autonomie corporelle, de privation de liberté et de mort sociale à l’écart de la société. C’est en réalité un faux dilemme  : mettre en valeur ce discours c’est faire des personnes handicapées des faire-valoir, source de privilèges (culturels, politiques, matériels, financiers etc) pour les personnes valides, mises au centre du débat sur le handicap.  Nos droits fondamentaux,  la question des discriminations dont on fait l’objet et la justice dans l’accès aux ressources économiques et matérielles pour notre autonomie ne sont que rarement abordés dans ces représentations culturelles et médiatiques.

D’autres critiques sont venues de la communauté autiste :  le cripping-up qui fait jouer une actrice non-autiste à la place d’une personne autiste actrice ou danseuse, moins privilégiée dans l’industrie culturelle. SIA considère que cela serait trop dangereux pour une personne non-oralisante au lieu de rendre accessible le projet. En effet, des projets comme In the Loop des Studios Pixar ou Listen se sont adaptés aux personnes autistes non-oralisantes en évitant un studio sensoriellement inadapté. SIA a très mal réagi à ces critiques légitimes. Elle a refusé toutes ces critiques et a fait preuve d’un validisme en attaquant des autistes publiquement sur son twitter, les exposant au cyberharcèlement de ses fans. Elle a ignoré sciemment la compétence et l’expression des personnes autistes, y compris non-oralisantes. Elle s’est basée sur le conseil tardif de Autism Speaks qui est une organisation eugéniste prônant le dépistage prénatal de l’autisme, la recherche biomédicale et les méthodes comportementales pour nous guérir. Elle invoque “ses amis autistes” et sa relation douteuse avec un jeune mineur autiste de 16 ans comme bouclier aux critiques de sa méconnaissance de l’autisme. SIA a promis de retirer les scènes de contention où Ebo écrase Music, mais dans la version disponible sur internet, ces scènes sont toujours là et sans avertissement de contenu.

En conclusion, SIA n’est en aucun cas une alliée de la communauté autiste et “Music” a été un vrai désastre pour elle et les personnes qu’elle a souhaité représenter.  Son film est nuisible à notre représentation, il est stéréotypé sur toutes les minorités et est surtout très nul d’un point de vue cinématographique. Il est non représentatif de nos vies, mêmes handicapées. Nous sommes encore réduit.e.s, à l’écran, à des objets de consommation et des accessoires de l’intrigue pour faire progresser l’histoire des personnages valides. SIA a réussi l’exploit de nier notre handicap tout en nous représentant comme des fardeaux, faisant des crises sans raison et en gênant notre entourage.  Ne pas montrer notre réalité c’est ignorer les injustices,  les discriminations, le manque d’accessibilité et d’aide humaine que nous vivons dans la vie quotidienne. C’est produire un décalage auprès des parents et personnes neurotypiques entre leurs proches et cette représentation, pire cela peut induire l’idée qu’il serait possible d’être ainsi et de renforcer des interventions violentes et maltraitantes à notre encontre pour rentrer dans la norme valide. 

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