Rendez-vous à l’Ecole Démocratique : pour une auto-détermination et une auto-représentation des personnes autistes. Une formation faite de partages, permettant de s’engager davantage.
Par E.M.
Reportage disponible en lecture audio/vidéo par Latifa Responsable de Formation.
Le week-end dernier (19 et 20 février), un séminaire associatif organisé par CLE Autistes portant sur l’engagement dans l’association s’est tenu à l’École Démocratique de Paris, dans le 19ème, rue Léon Giraud. Chloé, formatrice de l’association Organisez-vous (1), était chargée d’animer ces deux jours d’échanges.
Le lieu en est lui-même symbolique, puisque l’École Démocratique est un lieu basé sur l’auto-organisation, où chacun – enseignant comme élève – possède une voix à égalité avec les autres.
A CLEA, nous entendons plutôt le terme de self-organisation au sens d’auto-support, autrement dit d’une association créée par et pour les personnes autistes, nous offrant la possibilité d’une auto-représentation collective.
Le premier jour, je suis le premier sur les lieux. J’attends donc devant la grille de l’école baissée. Quelques minutes plus tard, Thibault et Jessy arrivent à leur tour. C’est la première fois que je rencontre des membres de l’équipe “en vrai”. En effet, je ne connaissais jusqu’ici que Thibault par le biais d’internet. Le contact se fait facilement avec eux. Nous entrons dans les locaux, et installons la salle. Les autres participants arrivent rapidement.
Même si j’avais lu un article en anglais sur le serveur Discord de l’association soulignant la facilité d’échange et de compréhension entre personnes autistes (2) durant l’été dernier, je ne m’attendais pas à une telle aisance en termes d’interactions. L’ambiance semblait non seulement naturelle et sécurisante avec eux, mais chacun se montrait bienveillant et prévenant.
Lors de ces deux jours, nous aurions presque pu nous imaginer sur le mode d’une société inversée, où nous aurions nous-mêmes renversé les rôles habituels. Nous étions là, assis, à expliciter comment échanger de façon constructive et apaisée, sans rumination ni malaise associé comme c’est pourtant souvent le cas en société. Le séminaire était également retransmis en numérique via ZOOM sur grand écran ce qui a permis d’intégrer à égalité aux discussions et aux ateliers les membres ne pouvant pas se déplacer.
J’avais un peu l’impression de retrouver une position d’adulte, comme si la parole m’était donnée, comme si moi aussi j’avais le droit de dialoguer. D’ailleurs, lors de ce séminaire, Thibault et Louis m’ont, à plusieurs reprises, demandé ce qu’ils pouvaient faire pour me permettre de m’exprimer plus facilement.
Tout était vraiment bien conçu, tout semblait limpide et se déroulait naturellement. Outre l’intuition implicite que nous partagions, s’exprimer entre nous était vraiment aisé. Durant les tours de parole, lorsque nous étions invité.e.s à donner notre avis, nous pouvions par exemple non seulement développer nos explications, mais également nous exprimer en votant de façon non-verbale en effectuant un signe de la main (un pouce orienté vers le haut/bas signifiant notre accord/désaccord, et une main agitée de façon incertaine indiquant notre non positionnement).
Plusieurs pauses étaient prévues durant ce séminaire, et nous en profitions alors pour bavarder entre nous, ou bien pour nous reposer un peu. Les locaux de l’École étaient très accueillants et nous permettaient d’être parfaitement détendus : il n’y avait pas de bruit dérangeant ; nous pouvions effectuer des pauses et déjeuner au calme dans un respect mutuel de nos hyper et hypo sensibilités ; il y avait un canapé et un tapis (tous deux dans deux pièces différentes) sur lesquels nous pouvions nous étendre. L’ambiance était vraiment super ! D’ailleurs, jamais avant l’on ne m’avait demandé si cela pouvait me gêner sensoriellement de boire mon café dans un verre en plastique ! Avec les autres participant.e.s, tout semblait naturel. Nous étions là, ensemble, et nos différences ne représentaient plus une gêne. A aucun moment pendant le séminaire, je n’ai eu l’impression de devoir me renier, ni de devoir me cacher, comme c’est pourtant habituellement mon cas en société !
En fait, tant extérieurement qu’intérieurement, on aurait vraiment dit que nous étions sur la même longueur d’onde ! Par exemple, la majorité des personnes présentes dans la salle ces deux jours là était elle aussi, soit concernée, soit attirée, par les questions de genre. Avant de venir à ce séminaire, je ne pensais pas que cette problématique représenterait une dimension si importante pour iels également ! Moi qui suis trans non-binaire et qui ai donc tendance à être généralement perçu comme étant un peu bizarroide en société, moi qui avais jusqu’à récemment encore plutôt l’habitude d’être rejeté lorsque je me permettais d’être moi-même, j’ai vraiment été surpris et touché de me rendre compte que je n’étais pas un cas à part parmi les personnes autistes !
A la fin de cette première journée, nous sommes allé.e.s tous ensemble boire un verre dans un bar LGBT friendly. Les discussions se sont décentrées du séminaire pour se reporter sur nos études, sur nos centres d’intérêt, et sur des événements extra-associatifs. Puis nous avons fini par nous séparer, en nous souhaitant une bonne soirée.
Le lendemain, de retour au séminaire, nous avons discuté à tour de rôle, et travaillé également ensemble assemblé.e.s par groupes de travail thématiques. Puis nous avons effectué une synthèse de toutes ces suggestions, de toutes ces pistes de réflexion, avec l’espoir qu’elles soient utiles à l’association. En voici un aperçu :
– développer encore davantage les liens relationnels, tant dans la vie “réelle” que virtuels (par exemple, en organisant un camp d’été qui permettrait aux personnes autistes qui le souhaitent de passer du temps ensemble plusieurs jours durant ; ou encore en misant sur le développement des groupes locaux, que ce soit directement par le biais d’événements réels ou par les chans locaux du serveur Discord de l’asso) ;
– proposer un accompagnement aux membres sous plusieurs formes (par exemple sous forme d’auto-support ; ou sous forme de permanence d’écoute auprès de psychologues-autistes de l’association, qui seraient rémunéré.e.s par le biais de subventions accordées, et qui pourraient aider les personnes qui le souhaitent au niveau des habiletés sociales sans qu’un diagnostic ne leur soit nécessaire ; etc.) ;
– favoriser l’engagement des membres (en créant par exemple un guide expliquant le fonctionnement de l’association et ses valeurs ; ou encore en axant encore davantage le militantisme sur la défense des droits des personnes autistes ; ou en permettant également l’acquisition de compétences via du mentorat entre pairs ou via des formations extérieures) ;
– soutenir l’inclusion des personnes autistes en prenant encore davantage en compte leur diversité au sein de l’association (par exemple en créant des groupes de parole où chacun.e serait libre de s’exprimer comme iel le souhaite ; ou encore en misant sur la venue de personnes bilingues ou trilingues qui permettraient à tout.e.s de se sentir parfaitement intégré.e.s lors de rencontres IRL ; ou encore en permettant à celleux qui le souhaitent de développer un petit réseau ; etc.) ;
Après avoir une dernière fois partagé nos impressions, le séminaire s’achève avec cette deuxième journée. Je quitte l’École à côté des autres, avec des étoiles dans les yeux. Non seulement j’ai l’accord de Thibault pour assister aux événements voulus et rédiger des articles, mais je suis en prime chargé de constituer un groupe de parole en Normandie et ainsi de soutenir la présence de l’asso dans ma région natale. Quant au mentorat mentionné pendant le séminaire, il résonne en moi comme un avant-goût délicieux de ma rencontre avec le référent de Nancy prévue en avril. Alors, asociaux ces autistes ?
(1) https://organisez-vous.org/valeurs/
(2) https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1362361320919286
Résumé en audio et vidéo par Latifa, responsable de formation à CLE Autistes
