La chanteuse SIA a déclenché une polémique sur son premier film. Il sortira en 2021. Ce film s’appelle “Music”. Il représente une jeune fille autiste non-oralisante. Le trailer annonce une jolie expérience musicale et sensorielle, mais il tombe dans les travers d’une représentation autiste vue par et pour les neurotypiques. Les réponses validistes de la chanteuse SIA ne la qualifie pas pour être une alliée de la communauté autiste. Les projets culturels doivent inclure les personnes concernées à chaque étape de la création selon les principes du “rien pour nous sans nous”.
Les produits culturels ne sont pas neutres et sans effets, ce sont des objets concrets soumis aux lois du marché, des objets qui peuvent véhiculer des visions déjà existantes du monde via des schémas narratifs stéréotypés, renforçant ainsi les préjugés que l’on a sur les différents groupes de populations qui composent la société.
Les personnes en situation de handicap sont systématiquement mises en scène de façon peu nuancée et déconnectée de leur vie quotidienne : comme victimes ayant une vie nécessairement déplorable et donc comme ressort tragique (misérabilisme), comme héros se surpassant et devant inspirer les autres et donc comme ressort épique (inspiration porn) ou parfois comme ressort comique, notamment dans le cas de l’autisme. Les autres façons de les mettre en scène sont abandonnées (voire même pas envisagées) car elles ne seraient supposément pas bankable (what else ?).
De plus, la création d’un produit culturel est un processus de travail où, à chaque étape, des pratiques validistes sont à l’œuvre : écriture du scénario sans personne concernée (et véhiculant des clichés validiste), casting sans personne concernée ou disqualifiant sur les mêmes critères (ou bien on embauche des personnes concernées sans aménager le travail, sans respecter ses droits), impossibilité de s’asseoir pendant les prises etc.
Ainsi, le validisme est systémique dans l’industrie télévisuelle et cinématographique.
Pourquoi en serait-il autrement ?
À titre d’exemple, en France, l’audiovisuel français n’est absolument pas exemplaire en matière d’emploi des personnes handicapées au regard de la loi °84-16 du 11 janvier 1984. Cette situation est, nous le savons bien, tout à fait représentative du non-respect des droits des personnes en situation de handicap dans tous les secteurs d’activité.
Dans le Paysage Audiovisuel Français (PAF), moins de 1% des personnes/personnages sont en situation de handicap alors que dans la vraie vie, dans la société française, selon l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), 9,6 millions de personnes, soit 24% de la population active âgée de 15 à 64 ans vivant à domicile, sont considérées comme handicapées*. 54% sont des femmes, alors qu’elles ne représentent que 50,6% de la population active).
Non seulement le handicap et l’autisme sont sous-représentés dans le PAF (pourquoi ne pas embaucher une personne autiste pour jouer un rôle d’autiste ?), mais en plus beaucoup de films et de séries diffusent sans complexe une représentation validiste de l’autisme, c’est-à-dire une représentation qui infuse dans la société des stéréotypes qui nuisent à la communauté autiste, repoussant ainsi l’avènement de la célèbre et néanmoins toujours trop discrète inclusion… Par exemple, selon un récent sondage français, seulement 46% des sondés sont favorables à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants autistes. Pourtant, la scolarisation en milieu ordinaire, avec une assistance adaptée qui respecte les besoins des enfants, est à ce jour la meilleure façon de laisser des enfants handicapés s’épanouir et de les intégrer à la société plutôt que de les exclure et de les cacher dans des établissements spécialisés qui pis est mauvais pour leur développement.
Parler de handicap dans sa pièce ou son film nécessité d’embaucher des acteur.ices concerné.es, comme mesure de justice sociale, mais également d’écrire ou de penser les scénarios avec des personnes concernées afin de proposer de meilleures représentations de l’autisme favorisant réellement l’inclusion des personnes autistes à la société. Quand l’égalité existera de fait, des autistes pourront jouer des neurotypiques, et inversement. En attendant, la bonne représentation de l’autisme dans le PAF est un enjeu politique important qui, à moyen-long terme, peut influencer bénéfiquement la vie de nombreuses personnes concernées.
Les films et séries sur l’autisme : des caricatures du DSM-5
Il semble crucial de rappeler que des acteur.ices non-autistes occupent souvent des rôles de personnages autistes (ou perçus comme autistes) sans que l’autisme soit forcément le centre de l’intrigue, d’ailleurs (Sam Gardner dans Atypical, ou Dr Shaun Murphy dans The Good Doctor ou Sugar Motta dans Glee).
Mais l’autisme ne doit pas être réduit à une attitude atypique.
Un·e acteur·ice non-autiste pourra s’imprégner des critères du DSM-V, les personnes autistes ne seront toujours pas un ensemble de critères diagnostic. Un·e acteur·ice non-autiste ne pourra jamais imiter nos sensorialités particulières et la subjectivité singulière qui en découle par exemple.
Pourquoi persévérer dans la médiocrité (si ce n’est pour de basses considérations financières, of course) ?
“Music” : un regard unidirectionnel et surplombant
La chanteuse SIA a décidé de sortir un film en 2021 mettant en scène une femme autiste non-oralisante qui s’appelle Music.
Le trailer semble joyeux (une expérience sensorielle, à première vue). Il vaut mieux cependant laisser les personnes concernées, c’est-à-dire les personnes autistes non-oralisantes (ou utilisant un moyen de communication alternative et augmentée) donner leur avis à propos de ce film.
Pourtant, comme avec tout produit culturel, selon l’expression de Françoise Vergès “le regard unidirectionnel et surplombant ” construit le teasing.
On ne voit Music qu’à travers le regard de SIA et de son éducateur. C’est une représentation classique de l’autisme.
Un film qui voudrait mettre Music à l’honneur mettrait l’accent sur sa pensée, ses opinions, ses ressentis.
Music n’est-elle qu’un corps qui prend seulement du plaisir à écouter de la musique ? Si c’était le cas, il faudrait l’accepter sans réserves, mais s’en est-t-on réellement assuré·e ?
SIA ne remet pas en question le système dominant : Music vit dans un foyer pour personnes handicapées et est sous tutelle. Son film, derrière une expérience musicale, normalise la violence carcérale de l’institutionnalisation. Sa représentation négative de l’autisme se trouve ainsi perpétuée à travers son travail.
Une non-écoute de SIA face à la communauté autiste oralisante et non-oralisante
La communauté autiste a donc particulièrement réagi puisqu’elle est habituée à voir des représentations déshumanisantes, ne rendant pas compte de sa diversité, de la richesse de ses membres et de leur complexité.
Certains non-oralisants américains ont déjà réagi en soulignant qu’il aurait fallu dans tous les cas privilégier une actrice autiste malgré l’environnement sensoriel du tournage et l’impossibilité de répéter plusieurs gestes à cause de la dyspraxie (mais bon, pourquoi ce serait toujours aux mêmes de s’adapter, hein ?).
Cela impliquerait de ne pas faire un film selon les critères de communication, de jeu et de représentation neurotypique.
Et c’est facile, normalement, quand on est doué·e d’empathie.
Le casting a été aussi exigeant avec une dizaine de personnes autistes auditionnées, mais aucune n’a été prise.
SIA leur a dit qu’elles “étaient de mauvais acteurs”, et que recruter une personne autiste non-oralisante “de bas niveau de fonctionnement” aurait été “méchant” et “cruel”. Elle a décidé de recruter sa danseuse emblématique, Maddie Ziegler, ce qui ne semble pas aller dans le sens d’un gros effort d’inclusion de sa part.
Ce qui est méchant, cruel, et malhonnête, à vrai dire, c’est de s’ acharner à prétendre parler de l’autisme d’une personne non oralisante, pour mieux l’instrumentaliser (le profit, y a que ça de vrai).
L’utilisation des étiquettes de fonctionnement pour rejeter une personne autiste est caractéristique de la violence du validisme (qui suppose les capacités de la personne par rapport à des critères neurotypiques…).
SIA a fait des recherches pendant trois ans, mais seulement auprès d’Autism Speaks, une association ouvertement eugéniste et fortement critiquée par les associations de personnes autistes…
Bref, les réponses validistes de SIA ne la qualifient pas pour être une alliée de la communauté autiste, et prouvent que le film “Music” est contre le “rien pour nous sans nous”.
Pour finir, voici les petits conseils de CLE-Autistes si vous avez un projet audiovisuel sous le coude :
1) Faites des recherches sur les blogs, les livres, les organisations, les films des personnes autistes et achetez-les. Prenez le temps, et pas seulement sur l ‘aspect “scientifique”.
2) Embauchez des autistes dans vos équipes pour les rôles principaux ou pour co-rédiger vos scénarios.
3) Tout travail mérite salaire. Les bénévoles concerné.es qui vont vous éduquer font partie d’une population précarisée, ce travail militant présente beaucoup pour elle et c’est autant de temps en moins consacré à obtenir des ressources. Payez donc toutes les personnes autistes engagées à chaque niveau du projet.
4) Faites relire le scénario par des personnes autistes si les scénaristes ne le sont pas (comme l’a fait CLE Autistes pour la série “Astrid et Raphaëlle”)
5) Organisez une lecture du scénario devant un groupe de personnes autistes avant de persévérer…
6) Faites une œuvre adaptée aux autistes et pas adaptée aux personnes neurotypiques.
Le dessin animé Loop des Studios Pixar est un bon exemple car les scénaristes sont allés au contact d’une personne autiste non-oralisante dans son environnement, en la connaissant progressivement, en imitant sa façon d’être et ses intérêts, et ils ont également consulté l’ASAN (Organisation autiste américaine) pour affiner leurs représentations de l’autisme, ce qui lui a évité de passer du temps dans un studio sensoriellement inadapté.