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Les études critiques de la folie et la neurodiversité : Pour un dialogue

  • Temps de lecture :17 min de lecture

Par Brigit McWade, Damian Milton & Peter Beresford (2014).

Iels sont membres du département de sociologie de l’université de Lancaster au Royaume-Uni. Damian Milton est un chercheur neurodivergent engagé pour la recherche participative.

Résumé : 

Dans cet article, nous explorons ce que nous considérons comme les préoccupations communes des chercheurs et activistes neurodivergents et/ou identifiés comme fols qui cherchent à se faire une place au sein de l’université. Ce faisant, nous nous interrogeons sur les questions critiques et les actions que les personnes impliquées dans ces activités pourraient aborder ensemble de manière à dépasser les politiques basées sur l’identité.

Introduction : 

Les études sur les fols et la neurodiversité sont deux domaines d’études émergents qui visent à mettre sur la table académique les :

Les expériences, l’histoire, la culture, l’organisation politique, les récits, les écrits et, surtout, les personnes qui s’identifient comme : fols ; survivants de la psychiatrie ; usagers de services de santé mentale; les malades mentaux ; patients ; neurodivergents ; les détenus ; les handicapés – pour ne citer que quelques-unes des “étiquettes d’identité” que notre communauté peut choisir d’utiliser. (Costa 2014)

Jusqu’à présent, les activités académiques autour de la folie et de la divergence neurologique n’ont pas réussi à inclure les personnes ayant une expérience  de vie, qui sont “fréquemment exclues des processus de production de connaissances” (Milton 2014, 794). Cela ne se limite pas à l’industrie pharmaceutique, ou à la recherche biomédicale ou génétique qui cherche à identifier des bio-marqueurs et d’éradiquer l’autisme, la schizophrénie et d’autres troubles similaires.

 En effet, une grande partie du travail scientifique social dans ces domaines peut viser, mais échoue continuellement, à d’inclure l’expertise vécue de manière égale, en positionnant les patients/utilisateurs/survivants comme des outsiders, des objets d’interprétation et de recherche “sur” plutôt qu'”avec” (Beresford et Russo 2014 ; Milton et Bracher 2013). 

Nous explorons ici les points de connexion possibles entre ces deux domaines émergents, et considérons ce qu’une collaboration pourrait en termes de changement politique et social.

Qu’est-ce que les études critiques de la folie et la neurodiversité ont à se dire ?

Les discussions entre les spécialistes des études fols et ceux de la neurodiversité s’inscrivent souvent dans le cadre des études sur le handicap (disability studies). Le champ des études sur le handicap est vaste en termes d’incarnations et d’expériences qu’il aborde et d’interdisciplinarité. Il existe des points communs entre ces trois groupes : les personnes ayant des déficiences physiques, sensorielles ou intellectuelles, les personnes vivant avec un diagnostic psychiatrique et les personnes neurodivergentes sont catégorisées comme “handicapées” par la loi ;. 

Les effets du capacitisme sont psycho-émotionnels (Thomas 1999) ; les “traitements” psychiatriques peuvent entraîner des déficiences physiques ; et tous sont victimes de discrimination et d’oppression (Beresford 2004). 

Toutefois, ces éléments communs sont contrebalancés par de nombreuses différences, tant au sein des mouvements qu’entre eux.

 Plusieurs auteurs et autrices se sont engagé-e-s dans un débat sur la question de savoir si la folie et la souffrance psychique devaient être comprises comme un handicap, et sur ce qu’une alliance entre l’activisme fol et l’activisme antivalidiste pourrait réaliser (voir, par exemple, Anderson, Spandler et Sapey 2012 ; Beresford 2000, 2004 ; Plumb 1994). 

La question controversée de la déficience continue de représenter un défi à cet égard. Les personnes politiquement alignées sur le mouvement des survivants de la psychiatrie ont tendance à rejeter les concepts médicaux de leur souffrance psychique et, en tant que tels, ne se considèrent pas comme psychologiquement déficients, alors que le modèle social du handicap a tendance à être interprété comme maintenant la déficience comme un fait biologique (Beresford 2004 ; Plumb 1994) [1].

 Au sein du mouvement de la neurodiversité, toute la diversité corporelle (y compris les différences neurologiques) est acceptée comme une facette de l’humanité, tandis que le concept de “déficience” et les modèles médicaux puristes connexes sont généralement dénoncés comme normatifs (Milton et Lyte 2012).

Le chapitre à paraître de Graby (2015) dans Madness, Distress and the Politics of Disablement affirme que la neurodiversité a le potentiel de ” combler les fossés conceptuels entre les mouvements de personnes handicapées et de survivants de la psychiatrie – comme le point d’achoppement entre eux sur le concept de ” déficience ” [2]. Pour Graby, la revendication du mouvement de la neurodiversité en faveur de l’affirmation et de la reconnaissance des différences neurologiques et/ou comportementales signifie que :

Le mouvement de la neurodiversité est particulièrement bien placé pour rassembler des catégories plus larges de personnes marginalisées dans un réseau de solidarité (nécessairement large, mais néanmoins potentiellement extrêmement important) de mouvements luttant pour l’acceptation radicale de tous les types de diversité humaine, sous une large bannière d'”anti-normalisation” en luttant contre les supposées hypothèses “universelles” sur la “nature humaine” qui privilégient les groupes majoritaires et historiquement dominants. (Graby 2015).

Cela reflète des débats plus larges dans le domaine des études sur le handicap et de l’activisme sur la façon dont la bifurcation de la déficience et du handicap adoptée dans le modèle social ne reconnaît pas la socialité de la médecine et de toute corporéité, et la matérialité de la vie sociale (Hughes et Paterson, 1997). 

Graby (2015) suggère que le ” modèle d’affirmation du handicap ” de John Swain et Sally French (2000) pourrait être utile pour faire avancer ce projet, dans lequel ” les personnes handicapées affirment une identité positive, non seulement parce qu’elles sont handicapées, mais aussi parce qu’elles sont déficientes. En affirmant l’identité positive de leur déficience, les personnes handicapées rejettent activement la valeur dominante de la normalité” (Swain et French 2000, 578). 

La proposition du mouvement de la neurodiversité est que nous devrions réclamer et redéfinir la “déficience”, de la même manière que les premiers militants des droits des personnes handicapées ont remis en question la signification du terme “handicap”.

Si nous comprenions tous les humains comme des êtres présentant des différences corporelles, les connotations négatives attachées au terme “déficience” pourraient être évitées. L’autisme et les neurodivergences connexes ne seraient plus considérés comme des “déficiences” en termes médicaux. De même, Graby (2015) affirme que la souffrance psychique pourrait être considérée comme un effet du capacitisme psycho-émotionnel, plutôt que comme une “déficience”.

Activisme de l’Alliance

Les récentes discussions qui ont eu lieu dans le cadre des études fols lors de la conférence 2014 de Lancaster ont mis en évidence la nécessité de travailler davantage sur nos outils théoriques, conceptuels, éthiques et méthodologiques pour produire une connaissance ou une praxis imprégnée de folie et/ou de neurodiversité [3].

Un dialogue entre les études sur la folie, la neurodiversité et le handicap pourrait nous permettre de dépasser les limites des politiques fondées sur l’identité qui créent des “privilégiés” et des “exclus” [4].

Ce faisant, il devrait nous amener à dialoguer avec d’autres groupes privés de leurs droits, tels que les réfugiés et les demandeurs d’asile, les personnes sans emploi, les parents isolés et les groupes activistes organisés, tels que les syndicats (McKeown 2014). Cette conversation est soutenue par des travaux tels que Revolting Subjects d’Imogen Tyler (2013), dans lequel elle utilise une théorie de “l’abjection sociale” pour retracer les liens entre des groupes de personnes apparemment disparates.

 De même, dans son travail sur les personnes trans, Sally Hines (2013) affirme que le concept de “politique de la différence” d’Iris Marion Young (1990) nous permettra d’aller au-delà de la souffrance individuelle et de construire des identités collectives afin de lutter contre les inégalités, telles que le capacitisme, la privation de droits, la marginalisation et la pauvreté.

L’objectif est d’arrêter de penser que nous sommes tous pareils et de commencer à travailler collectivement avec nos différences.

Nous espérons que la solidarité entre les expériences de marginalisation et de handicap nous permettra d’aller au-delà de la définition de la manière dont chacun d’entre nous s’écarte de la norme. 

À une époque où la psychiatrisation s’accroît et où les politiques gouvernementales et les réductions des dépenses publiques sont agressives et dévastatrices, nous devons réfléchir collectivement à la manière dont ces processus nous affectent tous. Par exemple, il existe de fortes résonances avec les problèmes rencontrés par la communauté trans qui doit obtenir un diagnostic psychiatrique et une certification médicale pour être reconnue dans son genre acquis, et qui doit s’identifier comme homme ou femme et rien entre les deux (Hines 2013). 

Les intersections entre la neurodiversité et les identités trans* et queer sont déjà réalisées autour du terme “neuroqueer”. Ce terme “signifie ce que les médecins nous font, il représente également un terreau de revendication – pour résister … à la fois à l’obligation d’être valide et à l’obligation d’être hétérosexuel” (Yergeau 2014 ; souligné par l’auteur).

Yeo et Bolton (2013) affirment que des alliances devraient également être conclues avec les réfugiés et les demandeurs d’asile. 

Par exemple, la “taxe sur les chambres à coucher” a d’abord été appliquée aux réfugiés et aux demandeurs d’asile avant d’être mise en œuvre à l’échelle nationale. 

Travailler ensemble au-delà de ces différences signifierait que notre activisme collectif et nos campagnes seraient mieux informés sur la marginalisation politique et l’appauvrissement qui s’étendent sur de vastes territoires (Yeo et Bolton 2013). 

Un demandeur d’asile et usager des services de santé mentale qui a participé à leur recherche a affirmé que “si l’argent dépensé pour son psychiatre… lui revenait directement, il pourrait acheter de la nourriture, serait moins stressé et sa santé mentale s’améliorerait” (Yeo et Bolton 2013, 41). 

Nous considérons cela comme un appel au rassemblement pour un activisme qui prenne en compte et aborde les inégalités de manière intersectionnelle, et qui puisse intervenir de manière réaliste et utile dans la crise actuelle des systèmes de santé mentale et d’aide sociale.

Nous écrivons à une époque où des concepts militants tels que le rétablissement, l’inclusion, l’accessibilité et l’espoir ont été cooptés, appropriés et politiquement neutralisés par les décideurs politiques, les prestataires de services et les gouvernements (Costa 2009 ; McWade 2014 ; Morgan 2013).

Les services et organisations dirigés par les usagers continuent d’être les plus gravement touchés par les réductions de dépenses publiques (Morris 2011), tandis que les campagnes de lutte contre la stigmatisation approuvées par le Royal College of Psychiatrists continuent d’être financées à hauteur de millions de livres sterling pour vendre une version aseptisée de la “santé mentale” aux masses (Armstrong 2014). 

L’individualisation de l’accompagnement a été mise en œuvre dans le cadre d’une idéologie de libre marché qui a entraîné la dépossession et même la mort de certaines personnes handicapées. Il est “temps d’en parler”, et pas de la manière dont l’establishment le souhaite, avec des récits de rétablissement individualisés et bien emballés. 

Au lieu de cela, nous devons nous appuyer sur les riches histoires de l’activisme et rassembler nos expériences communes d’oppression et de marginalisation.

Notes

1. Nous notons qu’il existe de nombreuses interprétations et développements du modèle social qui vont au-delà de ce dualisme. En outre, certains activistes travaillant dans le domaine de la santé mentale n’acceptent pas les modèles médicaux de la souffrance psychique.

2. Nous tenons à remercier Steven Graby d’avoir partagé son travail avec nous avant la publication.

3. Le groupe de travail a été organisé par Peter Beresford et Brigit McWade, qui souhaitent remercier Hannah Morgan pour son soutien au groupe de travail et la facilitation de ce partenariat de travail. Pour en savoir plus : http://madstudies2014.wordpress.com/ .

4. Dans ce cas, qui est ou n’est pas “handicapé” ?

References

Anderson, J., H. Spandler, and B. Sapey. 2012. Distress or Disability? Proceedings of a Symposium Held at Lancaster University, 15–16 November 2011. Lancaster: Centre for Disability Research, Lancaster University.

Armstrong, V. 2014. “Why Mad Studies Can Change What the ‘Time to Change’ Campaign Won’t Challenge.” Presented at the Lancaster Disability Studies Conference, Lancaster, September 9–11.

Beresford, P. 2000. “What Have Madness and Psychiatric System Survivors Got to Do with Disability and Disability Studies?” Disability and Society 15: 167–172.

Beresford, P. 2004. “Madness, Distress, Research and a Social Model.” In Implementing the Social Model of Disability: Theory and Research, edited by C. Barnes, and G. Mercer,

208–222. Leeds: The Disability Press.Costa, L. 2009. “We Don’t Have “RECOVERY” If We Don’t Have RIGHTS.” In ‘Recovery’:Users and Refusers, by The Mental Health ‘Recovery’ Study Working Group, 35–37. Toronto: Wellesley Institute. 

Costa, L. 2014. “Mad Studies – What It is and Why You Should Care.” http://madstudies2014.wordpress.com/2014/10/15/mad-studies-what-it-is-and-why-you-should-care-2/ .

Graby, S. 2015. “Neurodiversity: Bridging the Gap between the Disabled People’s Movement and the Mental Health System Survivors’ Movement?” In Madness, Distress and the Politics of Disablement, edited by H. Spandler, J. Anderson, and B. 

Sapey. Bristol: Policy Press.Hines, S. 2013. Gender Diversity, Recognition and Citizenship: Towards a Politics of Differ-ence. Houndmills, New York: Palgrave Macmillan.

Hughes, B., and K. Paterson. 1997. “The Social Model of Disability and the Disappearing Body: Towards a Sociology of Impairment.” Disability and Society 12: 325–340. McKeown, M. 2014. “Alliances and Activism: Deliberative Dialogue for Framing a Politics of Mental Health.” Presented at the Lancaster Disability Studies Conference, Lancaster, September 9–11. 

McWade, B. 2014. Enacting Recovery in an English NHS ‘Arts for Mental Health’ Service. PhD Thesis. Lancaster University.

Milton, D. 2014. “Autistic Expertise: A Critical Reflection on the Production of Knowledge in Autism Studies.” Autism 18 (7): 794–802.

Source : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09687599.2014.1000512#d1e161, publié dans Disability & Society Volume 30, 2015 – Issue 2.

Traduction de l’anglais. Si vous avez des suggestions d’amélioration. Merci de nous contacter. 

Description de l’image : Logo de la Mad Pride anglophone, c’est un rond tricolore dont le contour est noir, au centre une personne est dessinée en noir, elle hurle sa colère et se libère de chaines. La couleur de remplissage est blanche à sa gauche et rouge ocre à sa droite. En dessous, le slogan dit “The Right to be free, the right to be me”.

Crédit image : Mad In America Foundation.

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