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Le sens de l’auto-représentation

  • Temps de lecture :13 min de lecture

Mel Baggs (2005)

Mel baggs était activiste autiste, pionnier-e du mouvement autiste américain dans les années 90 et co-fondateur-e du Front de Libération Autiste américain. Iel est décédé-e en 2020.

Trop souvent, les gens définissent l’auto-représentation en termes restrictifs. Ils la définissent en termes de groupes formels tels que People First ou Autism Network International. Ils la définissent en termes de capacité à utiliser un langage standard d’une manière spécifique. Ils la définissent en termes de méthode spécifique pour passer par le système légal, ou d’autres voies habituelles, afin d’obtenir certains types de résultats. Il s’agit là de formes valables d’auto-représentation, mais elles incitent les gens à croire que seuls certains types de personnes peuvent devenir des auto-représentant-e-s.

Lorsqu’une détenue d’un centre spécialisé se bat contre le personnel soignant pour défendre un autre détenu qui est brutalisé, c’est de l’auto-représentation. Je n’ai vu cela qu’une seule fois. Elle était courageuse et héroïque au sens propre du terme, et elle en a payé le prix pour avoir essayé de me protéger.

Lorsqu’un adolescent autiste dépourvu de moyen de communication expressif standard s’assoit soudainement et refuse de faire quelque chose qu’il fait jour après jour, c’est de l’auto-représentation. Lorsque ses méthodes pacifiques initiales sont ignorées au profit d’une contention et d’une poussée violente dans une voiture afin que le personnel de la structure puisse respecter ses horaires au lieu de l’écouter, sa décision de mordre le conducteur est un acte d’auto-représentation. J’étais dans la voiture avec lui.

Lorsqu’une personne autiste à qui l’on a dit, ouvertement ou non, qu’elle n’avait pas d’avenir et qu’elle n’était pas une personne réagit en tentant par tous les moyens d’attaquer l’endroit où elle a été emprisonnée et les personnes qui l’y maintiennent, c’est de l’auto-représentation. C’était mon cas et celui de beaucoup d’autres personnes que j’ai connues.

Lorsque des détenus de centres spécialisés (tant traditionnelles que celles qui se font passer pour des lieux ordinaires), y compris ceux dont on dit qu’ils ne peuvent pas communiquer, trouvent des moyens détournés de maintenir la communication et l’amitié en dépit des tentatives du personnel pour les éliminer, c’est de l’auto-représentation

Lorsque des personnes généralement considérées comme incapables de communiquer trouvent des moyens d’exprimer clairement ce qu’elles veulent et ce qu’elles ne veulent pas par d’autres moyens que les mots, il s’agit d’auto-représentation.

Lorsque les détenus et les « usagers » trouvent des moyens, petits et grands, de saboter les tentatives du personnel de la structure de contrôler nos vies, il s’agit d’auto-représentation

Dans le livre First Contact, Dave Hingsburger décrit comment les personnes ayant d’importantes handicaps développementaux, que l’on croit normalement incapables de s’auto-représenter, peuvent le faire et le font :

Helen est son propre auto-représentant en ce sens que son « moi » « plaide » pour que nous adaptions le monde à la façon dont elle le vit. Il s’agit d’auto-representation au niveau le plus élevé. Pourquoi ? Parce qu’il est immédiatement évident que si la personnalité d’Helen peut la libérer, notre compréhension de la personnalité des personnes handicapées devrait en faire autant. Sa déclaration de joie, de conscience de soi, montre que les personnes qui pensent qu’elle serait mieux morte sont simplement des bigots qui ont choisi de ne pas la connaître. Helen est une personne radicale. Son message porte sur l’acceptation radicale. Sa vie est radicalement la sienne. Pour ceux qui sont étiquetés « retardés profonds », insistez sur le mot « profond ».1

Il y a ensuite la question des choses que l’on appelle auto-représentation mais qui n’en sont pas.

Lorsqu’une personne non handicapée est pleine d’idées sur ce que les personnes handicapées devraient dire et penser de nos vies, et qu’elle nous tient sous son contrôle tout en prétendant nous enseigner toutes ces idées révolutionnaires, ce n’est pas de l’auto-représentation. 

Ce n’est pas non plus de l’auto-représentation lorsque quelqu’un nous dit constamment que nos méthodes actuelles de défense de nos intérêts sont erronées, que nous devons demander la permission de nous exprimer et que l’auto-représentation ne peut être réalisée que lorsque nous apprenons à nous comporter et à passer par les canaux « appropriés ». Ou lorsqu’une structure met en place un « groupe d’auto-représentation» qu’elle occupe à des tâches sans intérêt pour siphonner les frustrations des détenus et prouver aux autres qu’il s’agit vraiment d’un groupe d’« empuissancement »[empowerment]. Ce genre de choses passe souvent pour de l’auto-représentation. La véritable défense de ses intérêts passe par le respect et l’écoute.

Lorsqu’une personne handicapée décide de priver de leurs droits des catégories entières de personnes handicapées au motif qu’elles ne sont pas aussi dignes ou capables de défendre leurs intérêts que les personnes handicapées de son espèce, il ne s’agit pas d’auto-représentation. Lorsque les gens disent « Je peux prendre mes propres décisions, mais les personnes “retardées” ne devraient pas le faire », 

« Les personnes ayant des troubles du développement ne devraient pas vivre dans des centres spécialisés, mais pouvez-vous me dire comment enfermer mon frère fol ? » ou même « Il est tout à fait naturel que les personnes comme moi se détestent, c’est comme ça que nous sommes… », cela ressemble plus à de l’oppression qu’à de l’auto-représentation

Il existe également une pratique courante qui consiste à réunir un groupe de personnes handicapées dans le cadre d’un programme le loisirs et d’activités culturelles et à appeler cela une activité d’auto-représentation. 

La véritable auto-représentation consiste à mettre entre les mains des personnes handicapées les outils nécessaires à l’exercice d’un véritable pouvoir, et non pas de petits morceaux de pouvoir, mais le vrai pouvoir dans la main des personnes handicapées. Trop souvent, les personnes participant à ces « programmes » sont punies parce qu’elles font preuve d’un comportement inapproprié si elles s’engagent dans une véritable activité d’auto-représentation.

L’auto-représentation n’a pas toujours fière allure sur le papier. Elle ne correspond pas toujours aux sensibilités des personnes qui veulent que tout soit bien rangé, ordonné, joli et civilisé. Les personnes qui déclarent qu’une certaine catégorie de personnes est uniformément incapable de se défendre sont généralement les mêmes qui considèrent cette catégorie de personnes comme devant être contrôlée plutôt qu’écoutée. L’auto-représentation ne signifie pas que le personnel soignant doit nous donner des tapes sur la tête, utiliser les bons mots à la mode, nous dire que nous sommes de merveilleux petits auto-représentants, puis nous réprimander ou nous soumettre à un programme de comportement lorsque nous nous mettons en colère contre eux à cause de leur comportement contrôlant.

L’auto-représentant concerne fondamentalement la véritable égalité, le respect et le pouvoir, ainsi que la reconnaissance et la modification des déséquilibres actuels dans tous ces domaines. Qu’il s’agisse de passer par le système juridique pour faire fermer une institution, de lutter physiquement contre un environnement intolérable, de répondre au personnel, de saboter le pouvoir du personnel sur la vie des personnes handicapées, d’être écouté lorsque nous communiquons de manière non standard, d’apprendre qu’il est normal d’avoir une voix et de prendre des décisions, ou de résister passivement à la domination d’autres personnes sur notre vie, la véritable auto-représentation bouleverse toujours le statu quo d’une manière ou d’une autre.

Même si elle est légale et “appropriée”, l’auto-représentation ne sera pas confortable et amoindrie. 

Elle ne donnera pas aux personnes qui ont l’habitude d’exercer un pouvoir sur nous le sentiment charitable de nous aider, et leurs points de vue sur ce que nous devrions faire ne seront pas en mesure de nous dominer et de parler à travers nous. Ils ne pourront pas faire semblant d’ignorer les inégalités de pouvoir entre nous et vivre dans un monde imaginaire où tout le monde est pareil et c’est ce qui compte. Cela leur fera peur et les obligera à s’interroger. Ce sera vrai non seulement pour les personnes non handicapées, mais aussi pour les personnes handicapées qui ont l’habitude de se sentir supérieures à d’autres types de personnes handicapées.

Un jour, un «parent militant » étonnamment connu m’a dit que je n’avais une voix que parce que Gunnar Dybwad* m’en avait donné une, et que je devais m’asseoir et laisser les parents et les professionnels faire tout le travail nécessaire pour fermer les centre spécialisés dans mon État. Je ne suis pas d’accord.

L’auto-représentation n’est pas née avec Gunnar Dybwad, même s’il était un allié. Elle est née la première fois qu’un changelin** présumé a tenté de s’enfuir avant que quelqu’un ne puisse le tuer. Elle est née la première fois qu’un détenu d’une institution spécialisée a résisté au pouvoir du personnel soignant. Elle est née la première fois qu’une personne ne disposant pas d’un système de communication standard a conçu son propre système et a essayé de communiquer des choses élémentaires à d’autres personnes.

L’auto-représentation a été et est encore souvent qualifiée d’intransigeance, d’insoumission, de résistance au traitement médical, de manque de motivation, de problèmes de comportement, de violence, de manipulation, de jeu, de recherche d’attention, de mauvaise attitude, de mauvaise influence, de balbutiements absurdes, de comportement d’automutilation, de comportement inapproprié, de manque de respect, d’élément perturbateur, de comportement catatonique, de retrait social, de délires, de syndrome de rage septale, voire de crises d’épilepsie ou d’activité réflexe. 

Les auto-représentants ont été torturés, intimidés, enfermés, séparés de leurs amis et de leurs amants, et tués pour leurs actions depuis bien avant l’existence de tout mouvement organisé. 

Dire que le mouvement de défense des parents d’enfants handicapés ou tout autre groupe de personnes a créé nos voix est arrogant et témoigne d’un réel manque de respect pour le prix que beaucoup d’entre nous ont payé pour utiliser nos voix. 

Nous avons toujours eu ces voix, sous de nombreuses formes. Ce sont les autres qui nous ont exclus, qui nous ont fait taire et qui ont refusé de nous écouter.

1 First Contact, Charting Inner Space: Thoughts about establishing contact with people who have significant developmental disabilities, by Dave Hingsburger. Ce livre est disponible pour $15 de Diverse City Press. Il explique en détail comment apprendre à connaître et à écouter les gens ayant des handicaps développementaux sans les contrôler et sans projeter ses valeurs sur eux, ainsi que les rôles que chacun peut jouer dans le mouvement d’auto-représentation.

Ajout des traducteur-ices :

*Gunnar Dybwad était un professeur militant américain allié du droit des personnes avec un handicap intellectuel et développemental à vivre dans la collectivité et non dans des centres spécialisés. 

** Dans le folklore européen, un changeling ou changelin est un leurre laissé par les fées, trolls, elfes ou autres créatures du Petit peuple à la place d’un nouveau-né humain qu’elles enlèvent.

Source : https://web.archive.org/web/20101225171243/http://www.autistics.org/library/self-advocacy.html .  

Texte originel de autistics.org publié en 2005 par le Front de Libération Autiste, puis publié dans l’anthologie autiste “Loud Hands, Autistic Speaking”.

Traduction de l’anglais. Si vous avez des suggestions d’amélioration. Merci de nous contacter. 

Description de l’image : Personne tenant ses mains devant son visage en position de « recul ».

Crédit image : Thinking Autism Guide 

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