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Notre café Marais : l’exploitation est ouverte !

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A l’issue de la sortie du film “Café sans filtre”, nous interpellons le monde de la culture qui promeut ce type d’établissement non conforme aux droits des personnes handicapées. Ou une énième démonstration de la position subalterne dans laquelle les personnes autistes sont considérées et maintenues dans tous les dispositifs ségrégués…

Le site internet Sortir à Paris nous présente un nouveau lieu idyllique pour boire un verre et socialiser avec bienveillance : le 22 juin 2021, dans le quartier du Marais, à la Caserne des Minimes, un café a été inauguré. Il est l’extension d’un Institut Médico Educatif (IME) géré par le gestionnaire Autisme en IDF. Aujourd’hui, il fait l’objet d’un film “Café sans Filtre” de Galaad Hemsi et Coralie Van Rietschoten, projeté au Cinéma le Méliès de Montreuil à 20H30 ce jeudi 16 octobre. 

Des ados, rendus captifs par un Institut Médico Educatif, n’ayant que de rares occasions de sortie à cause d’une privation de liberté, se plient aux règles d’un bénévolat forcé quelques heures par semaines. Les autistes ne gèrent pas le café, contrairement à ce qui est raconté, mais travaillent sous la volonté de l’IME où ils sont placés contre leur gré.

Des professionnels valides estiment récompenser ces personnes handicapées via une bonne utilisation de leurs intérêts spécifiques, en généralisant leurs compétences en « milieu écologique » (ou ordinaire, ou normal, quoi !).

CLE Autistes condamne les objectifs de ce café et souhaite alerter que ce projet ne respecte pas les droits des personnes handicapées. Les personnes autistes concernées ont de 16 à 20 ans. Le droit du travail n’autoriserait pas ce traitement pour une partie d’entre elles, mais c’est vrai que quand on dépend du code d’action sociale et de la famille, tout est permis, comme en Etablissement  et Service d’accompagnement par le travail (ESAT), un lieu où les personnes handicapées ne sont pas considérées comme des travailleurs et ne perçoivent qu’environ 300 euros par mois.

CLE Autistes trouve scandaleux que ce projet ait été soutenu au nom de la « conception universelle » par du financement participatif, par la Région Île de France, l’ARS, un grand nombre d’acteurs de Paris Centre, par le budget participatif et par la mairie du 3ème arrondissement de Paris. Ce financement de la ségrégation n’a rien à voir avec les exigences de la Convention des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées.

Toute couleur politique confondue.

L’association gestionnaire nous présente les choses comme cela :

« Notre Café Marais se veut un lieu d’insertion sociale, en milieu ordinaire, pour  25 jeunes présentant des TSA.  Notre Café Marais n’a pas vocation dans un premier temps à embaucher les jeunes avec TSA, mais à leur offrir un lieu « ordinaire » dans lequel les compétences acquises dans les dispositifs existants peuvent être valorisées ».

L’argument, assumé, étant que « les jeunes ne seront pas rémunérés ».

Laurence Melloul, la directrice, considère que cette expérience fait partie de leur « parcours d’apprentissage », pour « valoriser leur participation sociale et développer leurs compétences paraprofessionnelles ». Un parcours d’apprentissage , mais pas de statut d’apprenti, donc pas de CV, pas de possibilité d’obtenir un emploi qualifié, voire pérenne, et encore moins en milieu ordinaire. Il est bien sûr inenvisageable de faire concurrence aux vrais restaurateurs du quartier, disposant de personnel de salle professionnel, puisque valide, évidemment.

Pas de statut de stagiaire non plus. Pas de convention de stage. Pas de gratification. De toute façon, beaucoup de « stagiaires » valides savent bien que les conventions de stage omettent régulièrement cette donnée du problème, pourtant égale au minimum à 3,90€/heure…

Mais rassurons-nous, les jeunes recevront « des rétributions en accord avec chacune de leurs passions ». Ces rétributions seront-elles majoritairement de la nourriture (des friandises, en mode « donne la papatte »), ou l’accès à des intérêts spécifiques (comme l’Opéra par exemple, car l’IME assurera sa fameuse rétribution à l’ado passionné.e, même en période de crise économique et sanitaire …) ?

Une activité « paraprofessionnelle » semble être une activité professionnelle dévaluée, parce qu’exercée par des personnes en lesquelles on ne place que peu d’espoir concernant leur employabilité.  Dans le cas présent, selon l’article de Sortir à Paris, des personnes autistes avec une « déficience intellectuelle moyenne ou profonde », et mineures pour partie.

Pourquoi alors auraient-elles besoin d’acquérir les compétences sociales et des pratiques professionnelles communément exercées par les personnes valides ?

Pourquoi  faudrait-il  corriger au plus tôt leurs comportements dans l’objectif de leur faciliter une intégration dans le monde des valides?

Au cas où elles sortiraient de l’institution un jour ?

Ces jeunes personnes autistes ne sont pas perçues comme ayant une réelle possibilité d’insertion professionnelle. On attend seulement d’elles qu’elles acquièrent un savoir-faire fonctionnel ainsi que des comportements adaptés, utiles au confort et à la rentabilité de l’association gestionnaire — donc, en réalité, au bénéfice du personnel qui les encadre (valide et rémunéré, lui). Ce dispositif ne vise pas le développement personnel et professionnel de la personne autiste. 

Quelques membres de CLE-autistes se sont rendus à Notre Café Marais, et ont observé que des éducateurs spécialisés ont touché à plusieurs reprises des personnes autistes (attention aux hyper/hyposensorialités…), et leur ont expliqué comment laver une table (quand on sait que dans la restauration, la meilleure manière de laver une table étant celle qui prend le moins de temps, par souci de compétitivité…).

Les éducateurs eux-même pensent que le site Sortir à Paris est trop optimiste (!), que le projet n’est que pédagogique, les objectifs pédagogiques de l’IME tendant juste à permettre aux jeunes d’accéder à d’autres lieux, en pratiquant une activité complémentaire au travail effectué dans l’IME (ABA et « bonnes pratiques » : casques, pictogrammes, habituation aux lieux et aux gestes chaque semaine, etc.). Effectivement, les bonnes pratiques ça améliore la qualité de vie et les droits humains! 

Le site Sortir à Paris et le film “Café sans filtre” sont-ils encore optimistes lorsqu’ils se basent sur le fait que ces jeunes personnes autistes sont « condamnées » à passer leur vie en institution ? Mais elles sont condamnées par qui au juste ? Cette “condamnation” est une discrimination validiste institutionnalisée dans l’ensemble de la société et non une tragédie individuelle.

Heureusement, Laurence Melloul — dans toute sa bonté — « veut leur donner une chance ». Quelle générosité ! Mais Madame Melloul, les personnes handicapées méritent autre chose que des miettes !

CLE Autistes Ile-de-France

Sources :

https://www.autisme-en-idf.org/814_p_51867/notre-cafe-marais.html

https://www.notrecafe.paris

https://www.sortiraparis.com/hotel-restaurant/cafe-tea-time/articles/253755-notre-cafe-marais-le-cafe-associatif-caserne-des-minimes-tenu-par-de-jeunes-autistes

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