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L’évolution de l’approche du handicap : du modèle religieux au modèle social 

Il existe plusieurs types d’approches et de représentations du handicap dans la société c’est à dire la façon dont on le conçoit et on le voit, on parle alors de modèle.  Il existe d’abord le modèle religieux ou de charité qui voit le handicap soit comme une punition soit comme une bénédiction dont il faut avoir pitié et où il faut chercher à « soulager les souffrances ».
Puis, il y a le modèle médical, celui-ci pense que les personnes sont handicapées par leurs déficiences (des limitations physiques, mentales, sensorielles, comportementales…).

Il pense que ces différences et déficiences doivent être réparées par des thérapies en tout genre même s’il n’y a pas de souffrance ou de maladie avérée. Dans ce modèle, on centre l’expérience du handicap sur l’individu et sa pathologie en voulant le réhabiliter vers  une « normalité ». Le modèle médical ne voit ainsi que le négatif de la personne et ne pense pas à ses besoins, il rabaisse les capacités et l’humanité de la personne, il amène les gens à perdre leur choix et le contrôle de leur propre vie. La personne doit s’adapter si le traitement n’existe pas, sinon on décide de sa vie à sa place.

Enfin il y a le modèle social du handicap qui est le modèle majoritaire aujourd’hui dans le monde occidental, sauf en France. Impulsé par les années 70 par des militant.e.s comme V. Finkelstein et P. Hunt, puis théorisé par M. Oliver [1][2][3], ce modèle considère que le handicap est le résultat d’une interaction entre un individu qui a une déficience (physique, sensorielle, intellectuelle ou psychique) et des barrières environnementales qu’elles soient physiques, comportementales ou de communication crées ou maintenues par la société.

Le modèle social du handicap est une situation variable dans le temps et l’espace

Pour ce modèle, le handicap est une création et une notion contextuelle et évolutive suivant les époques, il est le résultat de la façon dont la société est organisée et ne résulte pas seulement de la déficience d’une personne. Ce modèle cherche à supprimer les barrières qui restreignent les choix de vie des personnes handicapées dans un but d’indépendance, d’égalité et de choix et de contrôle sur sa propre vie à égalité avec les autres. 

Par et pour les personnes handicapées

La nouveauté de ce modèle c’est qu’il a été conçu par et pour les personnes handicapées car le modèle médical traditionnel n’expliquait pas leur expérience personnelle du handicap tout en ne proposant pas de solutions inclusives pour leur vie.Par exemple, ne pas pouvoir marcher est une déficience, mais c’est l’absence d’ascenseur ou de rampe qui empêche de pouvoir vivre dans un immeuble et non la déficience. 

De même, si une personne autiste avec un handicap intellectuel souhaite vivre de manière indépendante dans sa propre maison, mais ne peut payer le loyer et a besoin d’aide pour l’autonomie, alors dans un modèle social, cette personne sera aidée, pour pouvoir payer son loyer et elle pourra bénéficier individuellement d’assistants personnels. Dans un modèle médical, cette personne devra peut-être vivre dans une institution spécialisée.


Une société qui doit aussi sortir du validisme strict et se remettre en cause

Ce modèle social du handicap est aussi vu comme une expérience collective d’oppressions avec un environnement imposant des normes à des personnes qui ne correspondent pas aux normes de la société. On nomme le système légitimant et produisant  ces oppressions contre les personnes handicapées  le validisme ou le capacitisme. 

Le modèle social donna naissance aux disability studies [4], des travaux universitaires qui remettent en question la médicalisation du handicap, les normes imposées aux corps handicapés et abordent les questions liées au handicap non plus comme des questions individuelles mais comme des questions politiques et sociales constituées de rapports inégalitaires. 


Un modèle social du handicap déplace la localisation du handicap hors de la personne et dans les structures sociales. Elle reconnaît que les perceptions sociales, les attitudes, les institutions et les politiques contribuent toutes à la création du handicap. De plus, la création du handicap résulte d’une combinaison dynamique de caractéristiques personnelles, d’environnements physiques et de normes culturelles qui est ” situationnelle et interactive

Fougeyrollas & Gray, 1998


Les conséquences du modèle social du handicap 

Ce modèle contrairement au modèle médical n’est pas coercitif ni total, il peut ne pas convenir à toutes les personnes handicapées et il ne rejette justement pas les solutions médicales pouvant aider, mais il redonne la liberté et le choix de “ne pas réparer” à chaque personne concernée par le handicap et il leur rend leur pleine capacité de sujet autonome, ayant le pouvoir d’agir. Les personnes handicapées ne sont plus ramenées à leurs incapacités, mais se voient proposées les conditions d’exercice de leurs droits dans tous les domaines de la vie et en toute équité.
Ce modèle n’apporte pas non plus la vérité sur le handicap, c’est une grille de lecture, il ne nie pas les souffrances individuelles liées aux incapacités et au corps [5], mais il invite à prêter attention à tout ce qui est extérieur à l’individu dans les déterminants du handicap pour agir sur le social. On va se concentrer sur les facteurs sociétaux, les représentations et les dispositifs ségrégatifs qui maintiennent les personnes dans des situations de dépendance, d’exclusion et de relégation |6]. 


Le modèle social du handicap : ratifié par la France, et il se doit d’être considéré et respecté par les institutions et le secteur médico-social

Cette définition semble radicale en France, mais le modèle social est pourtant une réalité juridique et sanitaire car il est présent  dans la définition de handicap de la Convention des Nations-Unies sur les droits des personnes handicapées, signée et ratifiée par la France depuis 2008 mais restée inconnue en France [7]. Il fut aussi adopté par l’organisation mondiale de la santé dès 2001 [8]. Malgré cela, sur le terrain, les trois modèles se mélangent et se confondent. Dans la plupart des domaines de la société française, c’est le modèle médical et religieux qui prédomine et les français sont très peu sensibilisés aux droits humains, à l’accessibilité et à l’égalité concernant le handicap. 

Changer les mentalités sur l’autisme : vers le modèle social du handicap

Pour changer de vision et de regard sur le handicap, on doit donc passer de cette vision de pitié et de pathologie à une société inclusive qui se “flexibilise pour offrir, au sein de l’ensemble commun, un “chez soi pour tous” selon les mots de Charles Gardou.
En conclusion, l’autisme dans ce modèle est une situation de handicap construite par l’organisation de la société, mais il est aussi une condition humaine ayant des besoins spécifiques et nécessitant du soutien pour être à égalité avec les autres. Le modèle social rejoint en cela le concept de neurodiversité. 

Voir aussi la vidéo en résumé de Alistair – H Paradoxae

Sources : 

Image : Harris et Enfield, 2003, p. 172
[1] Oliver, Mike (2001), Where will Older People Be? Independent Living Versus Residential Care, https://disability-studies.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/40/library/finkelstein-soc-mod-repossessed.pdf 

[2]  Finkelstein, Vic (2001) The Social Model Repossessedhttps://disability-studies.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/40/library/finkelstein-soc-mod-repossessed.pdf

[3]Mike Oliver, « Defining Impairment and Disability: Issues at Stake », in Barnes C. et Mercer G. (dir.), Exploring the Divide, Leeds: The Disability Press, 1996

[4] Archives du Center of Disability studies de l’université de Leeds , toutes les études en anglais sont disponibles https://disability-studies.leeds.ac.uk/library/

[5]Pierre Dufour, Dépasser les modèles dans le champ du handicap : un souci de soi, de l’autre, de soi avec l’autre https://homde.hypotheses.org/220 

[6] Morris, Jenny (2001), The kind of life? Social exclusion and young disabled people with high levels of support needs https://disability-studies.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/40/library/morris-Social-Exclusion-and-young-disabled-people-with-high-levels-of-support-needs.pdf 

[7] Convention Relative aux droits des personnes handicapées, Nations Unies http://www.un.org/french/disabilities/default.asp?id=1413

[8] L’OMS Classification internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé : https://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_internationale_du_Fonctionnement,_du_handicap_et_de_la_sant%C3%A9