Alexithymie et interoception

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Traduction bénévole par les membres du Pôle Contributions, du blog de Autistic Science Lady

Couverture d’un livre appelé « Introception : The Eighth Sensory System » par Kelly Mahler, MS, OTR/L

Je n’ai jamais su que j’étais anxieuse enfant, et même après d’ailleurs. Je pensais que tout le monde avait les mains moites et du mal à parler ou lire en public. Je pensais que tout le monde souffrait des bruits forts et qu’on était tous censés faire semblant. J’essayais de ne pas cligner des yeux quand j’étais surprise ou quand mes oreilles étaient douloureuses (c’est-à-dire souvent). J’essayais de détourner mon attention avec des livres.

J’avais approximativement 4 façons de décrire mes sentiments : contente, désagréable, contrariée, frustrée.

En plus, contrariée et frustrée était le même sentiment, à des intensités différentes.

C’est tout ce que j’utilisais. Je ne disais jamais que j’avais mal. J’avais mal aux oreilles tous les jours, mais ça, c’était « normal ». Et donc comment une autre douleur physique pouvait ne pas être normale aussi ? La douleur physique était d’ailleurs souvent moins pire que la douleur sensorielle (c’était notamment extrêmement douloureux quand mes cheveux effleuraient ma peau). Je pensais que je ne devais pas me plaindre. Je savais que si je le faisais (en tout cas, si c’était de façon bruyante), on ne croirait pas que ça me faisait vraiment mal parce que je n’utilisais jamais le mot « douleur ». Je demandais juste qu’on éteigne, parce qu’il y avait trop de bruits. J’avais l’habitude qu’il y ait trop de bruit. J’ai appris que je n’avais pas de contrôle là-dessus et qu’il fallait que j’apprenne à vivre avec. C’était la vie. Je pensais que c’était comme cela pour tout le monde. Quand quelque chose est là depuis si longtemps, il est dur de s’imaginer ressentir autrement, de s’imaginer ce que ce serait qu’une absence d’anxiété. Bien sûr que je ne savais pas que j’avais de l’anxiété. Je savais juste que je devais me préparer à des situations qui n’affectaient pas les autres et que je devais compenser le moi que l’on percevait « bizarre ».

L’intéroception

Depuis mon diagnostic, j’ai trouvé des moyens d’apprendre à identifier ce que je ressens. Parfois je vérifie si mon pouls est rapide (en touchant mon cou mais parfois je le sens / l’entend sans avoir besoin de ça). C’est comme cela que je sais si je suis très anxieuse.

Pour moi, les problèmes sensoriels sont très liés à mon anxiété. Par exemple, je suis anxieuse à chaque fois que quelqu’un marche à côté de mon bureau. Et s’ils venaient me parler ? Et si je ne travaillais pas assez (même si je suis littéralement en train de travailler) et qu’ils pensent que je ne travaille pas bien ? Et si c’est quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps ? Et s’il faut que je me lève et que j’oublie ce que je suis en train de lire ?

Me débarrasser de ce stimulus, en fermant la porte ou en mettant des écouteurs, m’aide énormément à réfléchir. J’imagine que c’est aussi lié à ma peur de pas faire assez, ayant été une perfectionniste en grandissant, recherchant la validation des autres (puisque c’est comme ça que l’on mesure sa propre valeur quand tout ce qu’on a c’est son intelligence).

Simplement porter mes écouteurs pendant la moitié de la journée a absurdement réduit mon anxiété générale et j’ai beaucoup de chance que cela m’ait aidé (je ne dis pas que les autres ont ou non des expériences similaires).

Stratégies pour la régulation quotidienne des émotions

Quand j’ai réalisé que porter des écouteurs aidait à réduire mon anxiété de multiples façons et dans de multiples situations, j’ai commencé à essayer de vérifier mon environnement sensoriel plusieurs fois par jours. Avoir un rappel peut aider.

Voici quelques trucs concrets que je vérifie pour déterminer mon état émotionnel (bien sûr, ça ne marche pas comme cela pour tout le monde, ce n’est que mon expérience et ce qui m’aide) :

Vérifier mon pouls – Suis-je anxieuse ? Mes paumes sont-elles moites ? Est-ce que ma respiration est bizarre, un peu comme des papillons ou des picotements.

·       Pouls bas : c’est peut-être un problème sensoriel. Je me sens inconfortable / contrariée.

§  Mouvement / Douleur / Confort : Peut-être que je suis agitée / nerveuse. Est-ce que je suis assise d’une façon bizarre ? Qu’est-ce que je sens au niveau de mes muscles ? Est-ce que j’ai des douleurs modérées aux articulations sans m’en rendre compte ? Est-ce que je dois m’asseoir plus droit ou faire bouger ma tête de bas en haut ? Est-ce que j’ai besoin de m’étirer ? Est-ce que je m’endors un peu ? Lève-toi et marche jusqu’à la fenêtre, étire-toi. Essaye. Parfois ça aide.

§  Température : Est-ce que je me sens vraiment agitée ?

Ø  Cela arrive parfois que j’ai trop chaud. Il faut que j’enlève ma veste ! Est-ce que je me sens mieux ? (70% du temps c’est le cas mais je n’ai réalisé cela que récemment. Avant, je pensais qu’être agitée était un problème de mouvement.)  

Ø  Est-ce que je suis distraite parce que j’ai froid ? Est-ce que c’est désagréable ? Il faudrait que je mette ma veste.

§  Son : Est-ce qu’il faut que je change de pièce ? Est-ce qu’il y a trop de bruits aléatoire / répétitifs ? Est-ce qu’il y a trop de bruit, dois-je mettre mes écouteurs ? Essaye. Tu te sens endormi et contrarié ? Essaye d’écouter de la musique ou un podcast (cela aide souvent). As-tu besoin de changer de pièce parce que ça n’a pas aidé ? Essaye, ça va probablement aider.

§  Lumière : Mon ordinateur est trop lumineux ? Y a-t-il un reflet bizarre sur l’écran ? Est-ce que j’ai du mal à fixer mon attention sur l’écran ? Est-ce qu’il faut que je change la couleur du fond ou le flux de mon ordinateur ? Dois-je travailler ailleurs ou regarder par la fenêtre pendant quelques minutes ? Est-ce que je travaille sous une lumière fluorescente ? Dois-je changer pour une pièce avec une lumière naturelle ? Essaye. Certaines personnes pourraient aussi porter des lunettes pour résoudre ce problème.

·       Pouls haut : Je suis très probablement anxieux.

§  Raison possibles : Suis-je inquiet à propos de quelque chose ? Est-ce que je participe bientôt à un événement ? Est-ce que je procrastine la réalisation d’une tâche ? Oui : bois de l’eau, vérifie que tu as bien mangé, écoute un peu de musique ou fais une tâche (manuelle ou de lecture) productive. Essaye de te concentrer sur quelque chose d’autre.

§  Si cela ne marche pas, parles à ton collègue de cette chose qui t’inquiète, ou réfère toi à la liste sensorielle au-dessus.

Parfois, j’ai l’impression que quelque chose ne va pas. J’essaye de mieux réussir à détecter ce sentiment. Cela semble plus facile quand on vérifie régulièrement ce que l’on ressent. Vous pouvez même mettre un rappel sur votre téléphone plusieurs fois par jour (même simplement pour vous rappeler de cligner des yeux quand devant un écran d’ordinateur).

Avant, je pensais que je n’avais jamais la nausée. Jamais. Il s’avère que je ne savais pas ce que c’était d’avoir la nausée. Je ne crois pas que je l’étais souvent mais c’est dur de se souvenir de 20 années. Certains médicaments que je prends me rendent nauséeuse mais de façon aléatoire, de temps en temps, pas de façon constante. De nombreuses fois j’ai dit « j’ai une sensation bizarre à l’estomac mais je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas si je dois manger. » Jusqu’à récemment, je ne savais pas que c’était de la nausée.

Cette photo partagée sur les réseaux sociaux m’a fait réaliser ce que c’était. Je ressens quelque chose de bizarre juste en dessous du milieu de mes côtes, surtout quand je respire. C’est ça, pour moi, la nausée. Cela me prend généralement deux à cinq heures pour réaliser que j’ai de la nausée, heures pendant lesquelles je me force à manger (parce que je n’ai pas la nausée, j’ai juste une sensation bizarre dans l’estomac !). C’est compliqué de se rappeler de cette sensation puisque je ne la ressens que 5-6 fois par mois.

J’ai aussi du mal à me rendre compte de quand mes muscles sont tendus (ce qui a probablement causé mon SADAM (TMJ en anglais) et une tonicité musculaire basse puisque j’avais les épaules levées en permanence quand j’étais enfant, je ne savais pas comment les détendre, ce qui a mené à ce que mes muscles du cou soient bizarrement forts pour compenser les muscles faibles des épaules. Je ne recommande pas !). C’est comme si ton corps ne te donnait pas assez de retours sur ce que tu fais physiquement. C’est probablement pour cela que j’utilise beaucoup de force quand ce n’est pas nécessaire, soit en n’utilisant par les bons muscles (pour écrire ou ouvrir des bocaux par exemple) soit parce que mon corps ne m’envoie pas l’information que mes muscles sont tendus, contrairement à ce qu’il est censé faire. C’est comme si je n’avais pas assez de finesse dans l’utilisation de mes muscles (à part, bizarrement, pour la motricité fine des mains / doigts, merci à mes leçons de piano quand j’étais enfant). Beaucoup de chose physiques qui viennent naturellement à d’autres, sont compliquées pour moi. Souvent j’utilise le mauvais groupe de muscles ou alors je fais quelque chose d’une façon différente pour compenser mon manque de finesse dans certains groupes de muscles. Oh j’ai aussi un très mauvais équilibre, ce qui n’est pas surprenant après tout ce que je vous ai expliqué.

Comment mes émotions se manifestent physiquement

Colère / frustration : C’est comme s’il y avait une énergie dans mes cordes vocales qu’il fallait que je fasse sortir. J’ai souvent envie de grogner. Comme je m’en empêche, ma gorge se noue et les muscles de ma mâchoires se tendent (ce dont je ne me rends compte que bien plus tard). Souvent je serre / tords mes mains pour faire sortir l’énergie et je peux avoir chaud au niveau de mon torse ou de ma tête.

·       Tristesse : C’est comme si ma tête pesait lourd ou comme si je m’enfonçais quand je respire. Je ne suis pas sûre que je respire fort. J’ai l’impression d’être une poupée de chiffon. J’ai les bras comme ballants et aucun de mes muscles n’est vraiment tendu (ce qui est notable puisque ce n’est jamais vraiment le cas habituellement).

·       Agitation : Evidemment, j’ai besoin de bouger. Il semble aussi que je suis pleine d’énergie avec l’envie de faire une tâche manuelle, par exemple. C’est assez similaire à la colère dans ce trop-plein d’énergie qu’il faut faire sortir, mais sans la poitrine serrée et sans avoir envie de hurler. Plutôt un besoin d’être productive. J’ai l’impression que ça me démange, comme si aucune des positions possibles n’est confortable ou plaisante. Rien ne semble fonctionner mais je ne suis agacée par rien et je ne tends rien intentionnellement. Ce que je dis ici, se retrouve probablement aussi dans la section mouvement / douleur / confort. Peut-être que je n’ai toujours pas compris comment se manifeste l’agitation.

·       Anxiété : Généralement, j’entends mon cœur battre. Honnêtement, c’est la plus dure à décrire parce qu’elle est là depuis si longtemps. Je me rends mieux compte de ce que je ressens quand elle n’est pas là. Si c’est de l’anxiété sociale, j’aurais quelque chose à dire dans ma tête et je le répéterais peut-être sans m’arrêter pour être sûr de le dire correctement. Je mettrais souvent mes mains sur mon cou, mes épaules ou mon visage. Parfois, j’enfoncerais mes ongles dans ma peau pour me distraire si l’anxiété est trop forte ou commence à se rapprocher de la colère ou de la frustration. Il se peut que j’ai les paumes moites et que j’essaye de faire pression sur mes mains en les mettant sous mes genoux ou mes jambes. C’est comme si j’avais besoin de mettre mes mains à un endroit où elles peuvent s’enfoncer et être en sécurité, quelque part où elles ne se baladent pas partout. Peut-être que ça m’aide à être ancrée. Généralement, je sens aussi ma gorge se tendre et que j’ai bien plus de salive. L’intérieur de ma tête est de plus en plus bruyante (les mouvements de ma bouche, mes paroles, ma respiration, les battements de mon cœur, tout devient plus fort). Je tends ma mâchoire et mon cou. Quand j’expire, je sens des picotements un peu plus bas que là où je ressens la nausée.

·       Nausée : Une sensation bizarre d’une pression en mouvement juste en dessous du centre de mes côtes ou vers le sternum. J’ai l’impression que c’est vers mes poumons mais c’est probablement mon estomac. Ça ne fait pas vraiment mal. Ca pulse quand je respire, ce que je n’aime pas du tout. 

·       Faim : Je ne me rends compte que j’ai faim que quand ça commence à faire mal. Ça fait mal près des intestins, donc plus bas que la nausée mais je sens comme un vide, au-dessus de là où est la douleur, comme s’il y avait un organe dégonflé (ce qui est peut-être le cas vu que je n’ai pas mangé).

C’est très dur de décrire les manifestations physiques des sentiments mais c’est très important d’y penser, surtout pour les gens qui n’ont pas de retours automatique du corps au niveau intéroceptif comme les autres. Je pense que ça a été une clé de la régulation émotionnelle, pour moi car sinon je ne serais pas capable de décrire mes sentiments ou de comprendre comment m’occuper de mon corps. Je crois que je n’utilise toujours pas les bons termes (et j’utilise principalement ces 4 termes quand je parle de comment je me sens) mais je pense que regarder ce qu’il se passait physiquement m’a aidé à commencer à être capable d’expliquer et communiquer mes émotions aux autres. 

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