Selon Sophie Cluzel, Secrétaire d’Etat au Handicap et Jean-Michel Blanquer, le Ministre de l’Education Nationale, les élèves handicapés font partie des élèves prioritaires pour le retour à l’école. Ces membres du gouvernement l’ont martelé à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux. Malgré ces éléments de langage, la réalité du terrain revient au galop. Depuis le début de la rentrée du 11 mai, on apprend que de nombreux établissements scolaires ont refusé des élèves handicapés, dont autistes, sous prétexte qu’ils ne seraient pas capables de respecter le protocole sanitaire.
Une exclusion d’office sur la base du handicap
Philippe Delorme, secrétaire général de l’Enseignement Catholique ne cache pas sa justification du validisme “ Bien sûr, nous accueillons dans toute la mesure du possible les enfants porteurs d’un handicap mais il est difficile de demander à des élèves scolarisés dans une unité spécialisée, en Ulis, de rester sans bouger derrière leur table, comme l’exige le protocole sanitaire. ». Non il n’y a pas de négociations, les enfants handicapés ont la même légitimité et le même droit d’être dans la classe que les autres selon la loi.
D’autres directeurs d’école justifient le refus des élèves handicapés à cause de l’absence des AESH, dont les postes n’ont pas été maintenus depuis le confinement. Cette excuse est habituelle et monnaie courante pour tout établissement se refusant à devenir inclusif, les mesures de confinement n’ont fait que l’amplifier. Mais cette raison est insuffisante car les dispositifs ULIS restent fermés alors que ce sont des unités avec l’encadrement nécessaire.
Des droits toujours partiels
Pourtant, l’Education Nationale a bien dicté des règles sanitaires fondées sur des normes capacitistes : savoir respecter les gestes barrières, gestes pas toujours possibles en cas de dyspraxie, de problèmes sensoriels, cognitifs ou intellectuels. Ils sont fondés sur du savoir-être valide qui n’est pas universel.
L’inspection académique en Normandie a explicitement envoyé des recommandations refusant les élèves handicapés qui ne respecteront pas ces gestes. Dans d’autres Académies, on refuse les AESH comme dans la Vienne, à Lyon ce sont les directeurs d’école qui envoient ces e-mails.
Mais, on parle bien d’enfants jeunes et des écoliers qui valides ou non ne vont pas forcément respecter ces gestes. Ces gestes peuvent être pourtant appris grâce à des consignes adaptées (visuelles et simplifiées) ou avec un accompagnement progressif d’imitation. Cet accompagnement n’est pas toujours compatible avec le point de vue valide puisqu’il tolère un petit risque pour pouvoir ensuite assurer la protection collective. Si cela reste impossible, le Ministère avait pourtant prévu des dérogations médicales, une toute petite minorité au final ne portera pas de masque et cela ne changera rien à la transmission du virus. On peut aussi rappeler à la France que la notion d’aménagement raisonnable dans tous les domaines est un droit de la Convention de l’ONU relative au handicap.
En fin de compte, le validisme est ici plus insidieux car on part du principe qu’ils ne seront pas capables de les appliquer. Ces enfants sont assignés au handicap, d’office, sans discussions. Ils sont une altérité différente de l’humanité, ils sont déshumanisés.
Une citoyenneté sous conditions
Les recteurs n’assument pas ces décisions, mais qui dirige alors ces Académies et transmet des informations officielles? Le capacitisme institutionnel est niché dans toute l’administration et est autonome : il mène les décisions de façon spontanée. Les directeurs et recteurs ne recadrent rien et ne s’y opposent pas au final, alors que le ministère dément et conteste ces décisions. Mais contester ne suffit pas, le gouvernement est coupable de ne pas avoir fourni de masques et de gel aux AESH : il a organisé l’exclusion en ne permettant pas que les AESH puissent travailler. Comme il a oublié les élèves handis lors de la “continuité pédagogique” qui n’ont eu aucun suivi scolaire ni visite de l’AESH.
Que ce soit à l’école ou en établissement spécialisé – la négation des droits fondamentaux des résidents continuera même après le déconfinement – cette exclusion des jeunes handicapées est acceptée, banalisée, normalisée et leurs droits sont toujours soumis à l’arbitraire du directeur d’école ou du directeur d’établissement spécialisé. C’est une citoyenneté sous conditions, dépendant du bon vouloir de toute personne ayant du pouvoir sur eux.
Le coronavirus détruit tous les maigres acquis obtenus avec la loi de 2005, tout en montrant les limites de cette loi. Il ne suffit pas de demander un droit à la compensation du handicap et à la solidarité nationale : il faut affirmer les droits civiques et politiques des personnes handicapées comme non négociables et non débattables. Nos existences ne sont pas sous conditions.