Hors normes : un divertissement pour personnes neurotypiques

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Les réalisateurs d’Intouchables remettent le couvert et s’emparent à présent de l’autisme avec le film Hors-Normes. Notre collectif de personnes autistes, assistant au visionnage de ce film, ne peut s’empêcher d’y voir la représentation des personnes autistes projetée par et pour des personnes neurotypiques.

Affiche du film Hors Normes, sortie le 23 octobre.

Après un premier film déjà décrié par les personnes en situation de handicap physique, Olivier Nakache et Eric Tolenado s’incarnent désormais en porte-paroles de la cause de l’autisme. Cette fois, la production a préféré éviter l’écueil du récit tout fictionnel : sans doute émus par l’histoire de l’association, ils dressent un portrait romancé du Silence des Justes, qui accueille des adolescents et adultes autistes sous la mesure d’un placement direct. Des personnages autistes du film sont incarnés par des personnes concernées, et on peut notamment suivre l’évolution de Joseph, jeune autiste oralisant, dont le personnage est inspiré d’un des pionniers de l’association.

“Une vie normale pour eux aussi”

Le slogan affiché par le Silence des Justes semble donner la juste mesure au nom de l’association. Le film associe des métaphores religieuses pour asseoir des représentations symbolisant la charité et la pitié, caractérisant ainsi un modèle religieux et médical du handicap (“par leur “cœur et leur bonté”, par leur “foi”). Il use de ressorts dramaturgiques pour faire la promotion des éducateurs et des professionnels valides, qui semblent tout mettre en œuvre pour permettre à “ces autistes” de “mieux vivre ce que leur offre le monde”, selon les mots des éducateurs et du fondateur Stéphane Benhamou. La fervente passion religieuse permet donc le partage et l’accompagnement de personnes vulnérables, comme l’explicite Moise Assouline, psychiatre de tendance psychodynamique incarné sur le grand écran par une femme psychiatre, et proche du réseau des professionnels psychanalystes de l’autisme.

Notre collectif s’étonne de voir la délégué interministérielle à l’autisme, Claire Compagnon, mais aussi l’association Autisme France et le Collectif Autisme, assister à la projection du film à Assemblée Nationale alors que le corps médical de cette l’association s’exprime clairement en faveur du packing. Claire Compagnon n’est-elle pas inspectrice du corps de l’IGAS ? Et l’IGAS, qui a d’ailleurs à plusieurs reprises refusé l’agrément pour cette structure, cédera t-elle sous la pression de ce film ?

La personne autiste n’est pas un objet de soin

Malgré une volonté d’inclusion dans les activités ordinaires, et des principes de diversité assumés, la réalité dépeinte dans le film semble davantage d’osciller entre le tout-thérapeutique et l’éducatif, figeant ces jeunes comme des objets de soin, et non comme des sujets de droit. Il semble faux d’affirmer que Hors-Normes veut montrer la réalité des autistes dits “sévères” : ce film illustre une ignorance totale des besoins particuliers des autistes et offre au grand public la vision d’un accompagnement datant des années 70. Nous ne voyons ici ni “sévérité” ni “difficulté naturelle” des personnes autistes enfin vues au cinéma, nous voyons plutôt des personnes autistes qu’on traite avec un regard unidirectionnel et surplombant, en bricolant une fausse inclusion, et sans jamais satisfaire leurs besoins. Il ne suffit pas d’être contre la normalisation (que nous soutenons), ni d’apprendre à être éducateur pour savoir faire avec les autistes. Il faut également faire preuve d’empathie.

Pour certaines personnes autistes, la projection du film fut insoutenable

La contention constitue un dispositif traumatisant pour toute personne autiste connaissant la réalité d’une crise de meltdown.  L’absence de moyens de communication alternatifs, le non-respect du consentement, le toucher viriliste incessant et inadapté aux personnes autistes*, les stims (auto-stimulations) négatifs régnant de manière gênante dans les appartements et les lieux de vie, la non-accessibilité organisée dans les lieux culturels comme à la patinoire… ; constituent autant de points particulièrement douloureux durant le visionnage. Nous notons également l’état de stress post-traumatique du jeune Valentin qui s’auto-mutile, et que l’on voit laissé par terre sans aucune prise en charge spécifique. Le film et l’objectif de l’association paraissent être construits sur un faux dilemme psychophobe : tout sauf l’hôpital psychiatrique, ne permettant pas de saisir les différents besoins des personnes autistes.

Des scènes, pour nous choquantes, on été accueillies par les rires ou les félicitations dans les salles : une police validiste des transports dont les propos et l’infériorisation de Joseph ne seront jamais repris par le personnage de Stéphane Benhamou.

Sur l’inclusion professionnelle en tant que telle, on ne parlera jamais d’aménagements, de formation ni d’accompagnement dans l’entreprise, laissant croire à une autonomie factice, portée par une inattention volontaire de toute éducation sexuelle**. 
Finalement, ce rappel à l’ordre – non contesté – qu’une personne handicapée doit faire sans aménagements pour être en entreprise est la logique d’une absence totale d’instruction des autres autistes dans le film.

Des professeurs*** déjà au fait de ne pas accepter tous les élèves handicapés, en resteront convaincus que l’école ne concerne pas ces personnes autistes dites sévères. Les objectifs ne sont de toute façon jamais clairs :  on ne sait pas trop si cet accompagnement sert à l’inclusion ou plutôt à réduire les troubles du comportement pour pouvoir intégrer une institution spécialisée. Nous rappelons ici qu’aucune institution pour handicapé ne devrait plus exister selon l’ONU.

Hors-Normes ne défend ni l’autisme, ni les autistes

Les personnes autistes ne sont que les objets et les personnages secondaires de ce film et de l’association : pendant que les éducateurs s’amusent réellement ou draguent, les personnes autistes ne sont jamais là et sont explicitement réprimées sur les mêmes points, et ce n’est pas la collaboration de l’ESAT Turbulences qui va changer la donne. Les autistes ne semblent être ici que les faire-valoir des éducateurs dont le travail est “gratifiant”. Grâce à ces autistes “complexes”, “ils peuvent bosser partout », comme l’indique le documentaire de l’association et les commentaires des réalisateurs lors de l’avant-première****. 

Les autistes comme tremplin de la réussite des valides nous offrent une belle leçon de vie (non). Des auto-congratulations qui masquent le retour à l’HP d’une personne autiste dans la réalité du rapport IGAS et la médication d’une bonne partie des résidents.

C’est en effet le message porté par le documentaire :  ingrats que nous sommes, que serions-nous sans ces éducateurs, issus de quartiers difficiles, n’ayant même pas besoin de diplôme officiel ? Il n’y a pas besoin de normes éthiques avec les autistes puisque l’autisme est défini comme une “incapacité d’apprendre” d’après les propos de l’acteur Vincent Cassel dans Quotidien. Il ne s’agit pas de les instruire ni de leur permettre l’accès à des droits égaux, mais simplement d’un “combat” pour les sortir de leur bulle et apporter la diversité aux personnes valides. Une diversité dont les neurotypiques ne pourraient pas profiter sans le travail thérapeutique de ces dévoués valides: voilà une belle inversion de la domination que nous propose une éducatrice.

Hors-normes, mais quand même jamais loin des neurotypiques. 

*Le film commence par une fugue d’une personnes autiste sans que jamais ce soit questionné. Dans le documentaire de l’association, une personne autiste en shutdown tombe en meltdown après qu’on la force à s’en aller de la plage en la touchant de manière inadaptée. Des éducateurs forcent à dire bonjour et à regarder dans les yeux.

** L’inclusion professionnelle rate car on ne voit pas de sensibilisation au handicap et à l’autisme dans l’entreprise. Il est traité de manière inférieure. Pire il n’y a pas d’éducation sexuelle et au consentement, on réprime son désir d’en parler comme si les autistes n’avaient pas de sexualité.

*** A une avant-première, la salle était entièrement composée de professeurs et ne voyant pas d’inclusion scolaire, beaucoup se sont vus confirmés que ce n’était pas fait pour ces personnes autistes en particulier.

****A une autre avant-première, alors que le chef de salle commençait à contester nos propos, les réalisateurs ont dit que le film n’avait pas pour vocation d’imposer une opinion unique ni de faire réfléchir. Pourtant on impose bien une représentation au public et des choix scénaristiques… Des commentaires validistes ont parsemé le retour sur le film entre inspiration porn et le regret de manquer de places en institutions.

Version longue du communiqué de presse du 18/10/19

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