Si vous n’avez pas entendu parler de la parution du dernier rapport de Mme Catalina Devandas-Aguilar, rapporteuse des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées, consacré aux privations de liberté, rien d’étonnant. La parution de ce rapport de 21 pages, le 11 janvier dernier, a été accueillie par un silence assourdissant de la presse et de la classe politique françaises, même spécialisées dans le handicap.
Et pour cause : il étrille nombre de pratiques communes dans notre beau pays des “droits de l’homme”, indiquant très clairement pourquoi les associations gestionnaires d’établissements et les projets ségrégationnistes et paternalistes ne devraient pas être financés par de l’argent public, et en quoi aucun lieu ségrégué entre personnes handicapées, même de petite taille, ne respecte le droit international.
Sans citer explicitement la France, Mme Devandas-Aguilar cite les pratiques ségrégatives, l’institutionnalisation, ou encore la médication excessive, comme autant de violations manifestes des droits des personnes handicapées physique ou psychique. Presque chaque situation de violation des droits citée par ce rapport (à l’exception des “camps religieux”) se produit en France de nos jours, et tous les jours !
Au contraire du compte-rendu du conseil des ministres consacré au handicap publié le 27 février dernier , stupéfiante collection d’autosatisfaction déconnectée du terrain, ce rapport nous démontre pourquoi et comment les personnes handicapées françaises sont malmenées au quotidien. La classe politique française ne semble pas prendre en compte la gravité des faits reprochés. La communication gouvernementale “positive” en faveur de pratiques et projets violant encore et toujours les droits humains fondamentaux, prend ici du plomb dans l’aile. Madame Devandas-Aguilar n’est pas dupe des mensonges officiels visant à faire passer des projets tels que Andros pour de “l’inclusion”.
La définition proposée est très claire : Les personnes handicapées sont privées de liberté dans la mesure où elles sont placées en institution sans leur consentement libre et éclairé ou ne sont pas libres d’en partir.
D’après ce rapport, toutes les lois, règlements ou pratiques prévoyant ou autorisant la privation de liberté sur la base d’une incapacité réelle ou supposée, dans des lieux de détention spécifiques destinés exclusivement ou principalement aux personnes handicapées, sont illégales, et ces mêmes pratiques ne peuvent se défendre sur la base de l’argument d’un besoin de« soins spécialisés ».
Comme le rappelle Catalina Devandas-Aguilar, cette violation de droits est essentiellement imputable à des considérations sociales, et non des considérations médicales. Cela inclut les hospitalisation non consenties dans des services de santé mentale, et le placement en institution : ce dernier devrait être considéré uniquement comme une solution de dernier recours. Elle dénonce également l’administration forcée de médicaments ou d’autres interventions, une pratique courante ciblant les personnes autistes.
Comme lors de sa première visite et de son rapport final simultané ciblant la France, Mme Devandas-Aguilar rappelle que les institutions isolent et à ségrèguent des personnes handicapées, les privent de la possibilité de décider par elles-mêmes dans la vie de tous les jours ; les empêchent de choisir les personnes avec qui elles vivent, imposent un emploi du temps et des habitudes.
Elle rappelle que placer un enfant dans un établissement résidentiel entraîne des effets néfastes sur son développement, même lorsqu’il s’agit de foyers de taille réduite ou d’institutions ayant l’apparence d’un cadre familial. De plus, madame Devandas-Aguilar souligne l’exposition aux violences sexuelles et physiques qui en découle. Elle souligne également la stigmatisation quotidienne des personnes handicapées, et les préjugés à l’encontre des personnes notamment autistes, à travers l’entretien de la croyance infondée d’une prédisposition à la violence, stéréotype considérablement renforcé au cours de ces dernières décennies grâce à la couverture médias font de certains incidents, mettant en avant le parcours psychiatrique de l’auteur d’actes de violence ou de cybercrimes. Cela est d’autant facilité que, comme le souligne Catalina Devandas-Aguilar, de nombreux professionnels de la santé mentale ont eux-mêmes des préjugés quant à cette dangerosité.
Elle note que les personnes avec un handicap intellectuel ou psychosocial sont surreprésentées chez les sans-abri, entraînant une pénalisation du handicap, une législation qui punit les comportements atypiques (comportement erratique, crises, hurlements ou blessures auto-infligées), ainsi que le fait d’exposer aux yeux de tous sa pauvreté et l’absence de soutien. Enfin, elle note que la prévention du suicide et de l’automutilation, fréquemment invoquée pour justifier le placement forcé en établissement psychiatrique, ne tient pas sur la base des publications médicales, aucune n’ayant prouvé que le risque de suicide diminuerait après un traitement sans consentement !
Recommandations de Mme Devandas-Aguilar
- Reconnaître, en droit interne, le droit des personnes handicapées à la liberté et à la sécurité sur la base de l’égalité avec les autres.
- Procéder à un examen complet de la législation en vue d’abolir toutes les lois et tous les règlements qui permettent la privation de liberté au motif d’une incapacité, par eux-mêmes ou en conjonction avec d’autres facteurs ;
- Mettre en place une politique de désinstitutionnalisation des personnes handicapées dans tous les types d’institution, comprenant l’adoption d’un plan d’action assorti d’échéances précises et de critères concrets, un moratoire sur les nouvelles admissions et le développement de services de proximité satisfaisants ;
- Mettre un terme à toutes les formes de pratiques coercitives, y compris dans les établissements de santé mentale, et garantir que la personne concernée donne son consentement éclairé en tous temps ;
- Garantir l’accès à des voies de recours efficaces à toutes les personnes handicapées arbitrairement privées de liberté et prendre immédiatement des mesures pour leur rendre leur liberté ;
- Assurer la mise en place de services d’appui pour les personnes en situation de crise et en souffrance morale, notamment d’espaces sûrs et protecteurs où l’on peut aborder les questions du suicide et de l’automutilation
- Consulter les personnes handicapées et les organisations qui les représentent et les associer activement à tous les processus de prise de décisions afin de mettre un terme à toutes les formes de privation de liberté fondée sur l’incapacité ;
- Sensibiliser la population, en particulier les responsables de l’élaboration des politiques, les agents de l’État, les prestataires de services et les médias, au droit à la liberté et à la sécurité des personnes handicapées, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés et les pratiques préjudiciables ;
- S’abstenir d’allouer des financements à des services qui ne respectent pas le droit à la liberté et à la sécurité des personnes handicapées et augmenter progressivement les fonds alloués à la recherche et à l’assistance technique en vue de mettre un terme à toutes les formes de privation de liberté spécifiquement liées au handicap et garantir l’accès des personnes handicapées aux services de proximité et aux programmes de protection sociale ;
- Encourager les acteurs de la coopération internationale, y compris les organisations à but non lucratif, à s’abstenir de financer des lieux ou des établissements de privation de liberté des personnes handicapées
Sources :
Le rapport sur les privations de liberté : http://www.embracingdiversity.net/files/report/1549899369_ahrc4054fr
Le rapport de l’ONU sur la situation en France des droits des personnes handicapées (FALC) 2019 : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Disability/A_HRC_40_54_Add.1-easy_to_read.pdf