A propos de L’Aurore

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L’Aurore de Joann Sfar et Douglas Kennedy, autiste irréaliste ?

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La parution des Fabuleuses aventures d’Aurore, série de trois romans graphiques par Douglas Kennedy et Joann Sfar, suscite autant d’espoirs que de craintes quant aux représentations de l’autisme. Un débat vif et douloureux en France.

Si l’on vous dit « autisme », il y a de bonnes chances pour que la première image à venir soit celle d’un petit garçon mutique et « baveux », enfermé « dans sa bulle », voire se tapant la tête contre les murs. Cette représentation n’est heureusement, la plupart du temps, qu’un stéréotype ou qu’une fraction rare du spectre, souvent concernée par le polyhandicap. Deux tiers des personnes autistes accèdent au langage verbal. 

La parution des Fabuleuses aventures d’Aurore a réveillé les craintes des membres des associations de personnes autistes, notamment du Collectif pour la liberté d’expression des autistes (CLE Autistes), qui lutte contre les représentations erronées. « Voilà un portrait étonnant [q]ui viendra anéantir le travail de sensibilisation à l’autisme de certains. Pourquoi écrire un livre faussé », interroge une membre de ce collectif à la lecture de cet article ? [Ndlr : aucune de copie d’écran n’a été ajoutée des réseaux associatifs car il s’agit des groupes de discussion privés]

Focalisation sur le regard

Les fabuleuses aventures d’Aurore présentent une petite fille non verbale capable de « lire dans les yeux des autres » pour deviner le vécu intime et profond d’autrui. Aucun autiste véritable n’a à notre connaissance le même pouvoir qu’Aurore ! Si la tendance à fuir le regard est une caractéristique majeure des personnes autistes, permettant souvent de poser le diagnostic… c’est aussi l’un des premiers traits de comportements que l’on impose aux autistes de modifier !

Les personnes non autistes et autres thérapeutes se focalisent probablement sur cette question du regard parce qu’il s’agit d’une particularité… fort visible. Dans la bande dessinée d’Yvon Roy Les petites victoires, il est asséné que l’échange du regard serait la plus importante compétence à acquérir pour assurer un avenir aux enfants autistes.

Question de point de vue : pour les personnes concernées, cette histoire de regard n’est qu’une préoccupation mineure. D’ailleurs, les thérapies comportementales type ABA ne rendent pas l’expérience d’un échange de regard agréable ni souhaitable. Quelles que soient les heures d’entraînement passées, soutenir un regard restera anxiogène pour la majorité des autistes. Josef Schovanec (auteur de Je suis à l’Est !) explique qu’il ne se plie à ce qu’il nomme une « singerie sociale » qu’en cas de « nécessité professionnelle » :

Josef Schovanec expliquant qu’il ne regarde pas ses interlocuteurs hors caméra, et a appris à parler en lisant Jules Verne.

“Elle ne ressent aucune émotion, même pas la tristesse ni la douleur”

Autre problème posé par les Fabuleuses aventures d’Aurore, l’idée selon laquelle les personnes autistes seraient insensibles et dépourvues d’émotions. Il ne s’agit pas que d’une innocente et fausse croyance : jusque dans les années 1990, le personnel médico-social de certains établissements français et belges accueillant des enfants et adolescents autistes leur recousait des plaies à vif, au motif qu’ils ne ressentiraient pas de douleur…

D’après le médecin et spécialiste de la douleur Dr Djéa Saravane, l’espérance de vie moyenne d’une personne autiste non verbale en France n’est que de 54 ans, la première cause de cette mortalité précoce étant la non-prise en compte des douleurs et des maladies somatiques chez cette population.

Joann Sfar et Douglas Kennedy  © Pocket jeunesse

L’ouvrage de Douglas Kennedy et Joann Sfar suscite par là de lourdes inquiétudes dans le milieu associatif : le personnel des institutions « spécialisées autisme », déjà trop souvent mal formé, s’appuiera-t-il sur cet ouvrage pour justifier des pratiques d’un autre âge ?

Douglas Kennedy et Joann Sfar évitent (aussi) certains stéréotypes !

Affirmer que les Fabuleuses aventures d’Aurore serait un ouvrage à jeter reviendrait à faire un très mauvais procès à ses auteurs. Douglas Kennedy et Joann Sfar racontent de façon aussi fluide que brillante combien une personne qui ne s’exprime pas par la parole peut réfléchir et penser à toute vitesse, et réaffirme avec force l’humanité de son personnage.

Quand Amazon traite l’autisme à la javel

Par ailleurs, Joan Sfar explique qu’il « ne voulait pas créer un personnage défini par l’autisme, mais plutôt une héroïne qui utilise ce trouble d’une façon remarquable ». Peut-être qu’Aurore, investie de la mission d’aider les autres, pourra devenir une sorte de super héroïne en « Autistan », cette contrée imaginaire des personnes autistes… ?

Mais en aucun cas, elle ne saurait être présentée comme un exemple de personne autiste, ou de fille autiste, ou même de personne « utilisant l’autisme »… Promis, juré, 100 % des personnes autistes ressentent des émotions, bien qu’elles ne puissent pas toujours les nommer ! 

Douglas Kennedy, Joann Sfar ; trad. de l’anglais Catherine Nabokov –  Les fabuleuses aventures d’Aurore – Pocket Jeunesse – 9782266290364 – 16,90 €  

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