Hors Normes : qui subit la violence ?

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Le seul diagnostic d'autisme n'augmente pas le risque d'infraction violente suggère une étude publiée dans le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry (JAACAP).
Description de l’image : un enfant blanc autiste avec un tee-shirt jaune. Il tient ses mains sur ses oreilles face au bruit de pétards et de fumigènes sur une route. Il est en shutdown et au bord d’une crise sensorielle. Image

Si vous êtes autistes, peut-être avez-vous bondit de votre siège à l’écoute de cette affirmation dans la bande-annonce du film Hors-Normes : « Vous en connaissez beaucoup des diplômes qui préparent à se prendre des droites toute la journée ? ».

Cette réplique, qui vient en réponse à une scène en rapport avec l’absence de diplôme des éducateurs du film, perpétue un terrible et fallacieux cliché : les personnes autistes seraient violentes « par nature », au point de « coller des droites toute la journée ». Ce cliché correspond à un parti-pris des personnalités à l’origine du film.

Daoud Tatou et ses « patients autistes » violents

Daoud Tatou a donné un séminaire au Relais Île-de-France le 21 novembre 2011, intitulé « Violence et agressivité chez les personnes autistes ». La violence prétendue des autistes est reprise dans un interview du 28 octobre 2019.

Il y présente des « cas cliniques », et fournit ses « explications », relevant de la psychanalyse. En résumé, pour Daoud Tatou, « les autistes sont violents » :

« Les personnes atteintes d’autisme sont très souvent des personnes dont la prise en charge est difficile, notamment lorsqu’il y a des comportements violents. C’est une pathologie qui s’exprime à travers une certaine violence, violence de frapper, de casser, de détruire… »

… toujours d’après lui, ce n’est pas tout à fait leur faute, psychose obligeant :

« on n’a pas l’impression que cette violence est là pour nuire mais au contraire pour se défendre d’un monde extérieur qui est vécu chez eux comme intrusif, frustrant, inadapté, étranger, et donc comme angoissant ».

On retrouve là des notions psychanalytiques de forteresse vide et de carapace autistique, pourtant invalidées dans le monde entier, le tout sans aucune prise en compte de la violence infligée par le milieu institutionnel. En effet, plus loin, Daoud Tatou regrette qu’il « existe actuellement peu ou pas d’ouvrages traitant de la gestion de la violence chez les autistes à proprement parler. Les écrits que nous pouvons trouver vont notamment faire allusion à des activités permettant de contenir l’autiste pour éviter les crises de violence, ou encore nous remarquerons que les institutions n’ont pas vraiment de technique pour cela et que ce type de situation délicate sera gérée (sic!)  sur le tas et en fonction du type de violence ».

Selon ce séminaire, dirigé par l’un des hommes encensés pour être la source d’inspiration d’éducateurs bienveillants et méritants avec leurs « cas complexes » dans Hors Normes, pas de doutes : non seulement l’autisme est une « pathologie » dont les concernés sont « atteints », mais aussi, et surtout, les personnes autistes seraient violentes et agressives par nature du fait de leur autisme. Leur place ne serait qu’en institution, lesquelles institutions manquent cruellement de techniques pour « contenir l’autiste »…

Plusieurs personnalités du film soutiennent implicitement le packing (enroulement dans des draps humides et froids), condamné par l’ONU, tout autant qu’ils soutiennent l’institutionnalisation* , elle aussi condamnée par l’ONU.

Que dit la science de la « violence des personnes autistes » ?

Principalement trois choses :

  • qu’il existe une nette intrication entre violence / douleur subie, et violence exprimée (un enfant non-oralisant avec une rage de dents, par exemple, va taper et détruire tout ce qui se trouve autour de lui, mais n’est pas pour autant un être violent « par nature », c’est d’abord quelqu’un qui a mal, et qui ne peut exprimer sa douleur via la parole)
  • qu’il n’existe aucune preuve pour affirmer que l’autisme prédisposerait à la violence. Au contraire, les personnes autistes pourraient être moins portées sur les actes de délinquance qu’en population générale !
  • que la violence subie par les personnes autistes (notamment du fait de leur relégation sociétale et de leur institutionnalisation) est quantitativement plus importante que celle qu’elles infligent aux autres, le biais médiatique rendant la seule violence infligée par les personnes autistes aux personnes non-autistes visible.

Sources :

  • C. S. Allely, P. Wilson, H. Minnis et L. Thompson, « Violence is Rare in Autism: When It Does Occur, Is It Sometimes Extreme? » [« La violence est rare dans l’autisme : quand elle survient, est-elle parfois extrême ? »], The Journal of Psychology, vol. 151, no 1,‎ 2 janvier 2017, p. 49–68, lire en ligne
  • Katie Maras, Sue Mulcahy et Laura Crane, « Is autism linked to criminality? » [« L’autisme est-il lié à la criminalité ? »], Autism, vol. 19, no 5,‎ 1er juillet 2015, p. 515–516, lire en ligne
  • A. X. Rutten, R. R. J. M. Vermeiren et Ch. Van Nieuwenhuizen, « Autism in adult and juvenile delinquents: a literature review », Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health, vol. 11,‎ 22 septembre 2017, p. 45 , lire en ligne : recension de la littérature scientifique, l’un des plus hauts niveau de preuve disponibles ! Sa conclusion est claire : « aucune preuve d’association entre TSA et délinquance »
  • Anne McGuire, War on Autism: On the Cultural Logic of Normative Violence [« Guerre contre l’autisme : La logique culturelle d’une violence normalisée »], University of Michigan Press, coll. « Corporealities: Discourses Of Disability », 2016, 274 p, lire en ligne

Le parti-pris destructeur d’Olivier Nakache et Eric Toledano

En contradiction complète avec les données de la science, Hors-normes présente des personnes autistes violentes par nature « du fait de leur autisme », plutôt qu’en réaction à la violence institutionnelle et sociétale qu’elles subissent.

On comprend mieux pourquoi, à titre d’exemple, la fugue de la jeune fille au début du film n’est pas questionnée, le parti-pris consistant à présenter cela comme une conséquence de pathologie psychiatrique, plutôt qu’une réaction à la violence qui lui est infligée.

Reste que ce point de vue fallacieux et orienté nuit profondément à la cause de l’inclusion des personnes autistes, que ce film est paradoxalement censé défendre…

*Dans la vie réelle de l’association, les responsables ne soutiennent qu’une vision institutionnelle. Moise Assouline pour le packing, Stéphane Benhamou qui recommande des centres spécialisés après un diagnostic précoce et Daoud Tatou fiers que le Relais deviennent officiellement un centre d’accueil de jour :”on a notre institution”.

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