Il ne peut avoir de diagnostic abusif puisqu’un diagnostic ne se fait jamais au hasard.
Le 28 février, Josef Schovanec, docteur en philosophie, voyageur polyglotte, conférencier polyvalent, autiste médiatique nous a fait part dans handicap.fr d’une information fulgurante : la France serait atteinte par une épidémie de faux autistes, dont les diagnostics seraient “abusifs”. En cause : trop de femmes diagnostiquées, et ces dernières auraient le malheur d’être trop sociables, engagées politiquement ou trop incluses pour être autistes.
Au vu du pedigree de Josef Schovanec énoncé précédemment, nous sommes restés circonspects. Après avoir relu cette interview, nous avons décidé de ne pas reprendre ni répondre à ce qui est affirmé sans preuves, à l’aide d’anecdotes ou de raccourcis mal placés. Ses propos sont l’exact contraire de ce qu’il a énoncé en 2018 et nous laissons le lecteur juger. Toute charge de la preuve revient à celui qui affirme ses dires et nous invitons Josef Schovanec à fournir ses sources.
Un sous-diagnostic chronique d’une condition complexe
Non Josef Schovanec, l’autisme n’est pas dû à la lecture de la Science-Fiction, ni à l’ingestion de pommes. Pourtant, l’autisme est réellement imbriqué dans de multiples autres conditions génétiques (Down, Angelman, Williams, X fragile…), neurologiques (Tourette, épilepsies, TDAH, troubles dys, handicaps intellectuels), maladies chroniques (SED), psychiatriques (bipolarité, schizophrénies et psychoses, borderline…), et ceci est attesté par les études. Les personnes peuvent être bien autistes et avoir plusieurs conditions en même temps, il n’est pas rare que les autistes aient en moyenne au moins 4 conditions associées! La Dr Vulster a bien décrit ces différentes conditions associées dont énormément de handicaps psychiques à l’université d’automne de l’Arapi.
Oui il y a 10 ans, personne n’était diagnostiqué puisque la France était sous domination de la psychanalyse et de nombreux autistes ont reçus d’autres diagnostics. L’autisme est très mal diagnostiqué en France. Il ne s’agit pas une dérive anglo-saxonne (où il n’y a pas de surdiagnostic selon les psychiatres anglais), mais un retard vertigineux de notre pays dans ce domaine. 15% seulement des enfants seraient diagnostiqués selon la Cour des comptes. Josef Schovanec le rappelle pourtant à chacune de ses conférences, lui même ayant été diagnostiqué autiste à 22 ans après avoir été diagnostiqué schizophrène. Une étude récente faisait état de 0,5% de prévalence dans le Sud-Est et 0,8% dans le Sud Ouest, Santé publique France fait état de grandes disparités régionales et une prévalence de 0.7% chez les garçons de 8 ans, 90% des adultes restent non diagnostiqués. Pendant ce temps, les autistes représentent une minorité de plus de 1,5% de personnes dans le monde, ce n’est pas une invention, mais une réalité terre à terre. Notre existence et notre minorité doit être reconnue pour être acceptée, on s’éloigne du “tout le monde est autiste!”
Sortir de Kanner et d’Asperger : psychiatres au public privilégié
Cette reconnaissance passe par la sortie de l’autisme d’un particularisme masculin et blanc. De nombreuses études soulignent d’une part le faible sous-diagnostic des femmes et des minorités ethniques, d’autre part une grande diversité de genre et de sexualité chez les autistes, et parmi celle-ci la non-binarité ne constitue pas un diagnostic mais une identité de genre.
Personne ne dit que les traumas causent l’autisme, mais inversement de nombreuses personnes autistes subissent des traumatismes et des violences sexuelles. Ces traumas peuvent ensuite masquer l’autisme ou faire retarder un diagnostic, les deux peuvent être très présents au vu de la violence systémique que subissent les personnes neurodivergentes dans la société. Cela n’a rien de comique et ne doit pas être pris à la légère.
Nous passons sur la théorie du complot voulant que des femmes violentées, ayant masqué toute leur vie leurs problèmes, auraient assez de pouvoir pour manipuler des médecins psychiatres.
Le handicap est une construction sociale
Le Dr Vulster avait spécifié que 50 à 90% des diagnostics n’étaient pas vérifiés dans les centres experts – le chiffre serait de 60% en moyenne – cela n’a rien d’étonnant pour une prévalence de 1% de la population. Il faut bien un grand nombre de personnes se présentant au diagnostic pour détecter un aussi petit pourcentage dans la population.
Nous sommes déçus par la vision médicale du handicap de Schovanec, lui qui défend pourtant l’inclusion des personnes autistes. Ce n’est pas compatible avec un jugement sur le handicap de chacun. Cela ne fait que perpétuer l’idée validiste qu’il y aurait des faux handicapés, jugés selon les critères des valides, comme il y aurait des fraudeurs à la sécurité sociale. Le handicap est une condition et une situation construite socialement, il est lié à des difficultés de toute nature en décalage avec l’organisation de la société. Le fait d’être en apparence inclus socialement ne prouve rien au fait de ne pas avoir de handicap : ces personnes peuvent compenser, avoir une grande charge mentale (notamment les femmes) ou être en dépression et burn out. La MDPH prend en compte également la situation personnelle de la personne par rapport à son contexte environnemental et social, on attribue des aides de moins en moins par catégories de handicap. Nous recommandons toujours d’attaquer l’avis en cas de non attribution des aides.
Des services de diagnostic et de suivi psychologique aux moyens insuffisants
Josef Schovanec accuse les personnes psychiatrisées de prendre la place pour les « autistes réels », faut-il avoir une grande largeur de diagnostic quitte à surdiagnostiquer ou restreindre et perdre une bonne partie des personnes pouvant avoir un diagnostic ? Nous préférons que des personnes en difficultés reçoivent des aides, la responsabilité dans ce cas revient aux médecins et aux systèmes de santé dont la psychiatrie est le parent pauvre.
Quelles aides financières sont attribuées à l’autisme d’ailleurs à part celles destinées aux institutions spécialisées ? Nous sommes désorientés par leur nombre et le manque d’information à leur sujet lorsque nous nous pouvons accéder à l’emploi ou à l’école, à cause d’un manque d’aménagements et de services pour autistes adultes.
Nos soit-disant représentants (militants médiatisés ou présidents de grandes associations) devraient demander plus de moyens budgétaires globaux pour le diagnostic et le suivi psychologique, permettant d’éviter que les personnes ayant des difficultés suivent la piste de l’autisme.
Une méconnaissance du pouvoir psychiatrique et des violences médicales
Finalement c’est méconnaître le rapport de pouvoir dans la psychiatrie puisqu’au vu de ce refus massif, les médecins restent les seules légitimes à décider qui peut avoir un diagnostic. Nous rapportons des pratiques illégales dans les CRA qui refusent le diagnostic d’autisme sans aucun tests standardisés, qui jugent l’autisme en se basant sur l’appartenance à une minorité ou sur l’intérêt intellectuel des conversations .
C’est méconnaitre le sexisme médical, les femmes sont rarement prises au sérieux dans le monde médical et y subissent des violences.
La médecine n’est pas indépendante de la société. Josef Schovanec érige la psychiatrie comme seul discours de vérité sur l’autisme après l’avoir combattu. Il dénie la légitimité des autistes à se définir eux mêmes par leurs expériences de vie, leurs ressentis et la situation d’oppression qu’ils subissent. Pourtant, il parle de définition sérieuse de l’autisme, mais place des critères arbitraires (il faudrait être un homme, ne pas avoir trop de comorbidités, ne pas avoir de vie sexuelle pour être autiste) pour définir le diagnostic.
L’histoire de l’autisme n’a évidemment rien de « sérieux » comme le montre les sociologues et anthropologues Eyals et Grinker, il s’agit d’un diagnostic qui a déjà deux définitions différentes dans deux classifications (DSM et CIM) . Puis ce diagnostic s’est constamment élargi et remodelé au cours des 50 dernières années, il a absorbé d’autres diagnostics. La problématique des femmes autistes est récente, le diagnostic évoluera encore car il est conçu par des personnes neurotypiques ayant certains préjugés.
Non le diagnostic d’autisme ne se juge pas sur la nature des intérêts
Ces derniers se traduisent dans la méconnaissance des critères actuels du DSM puisque les intérêts spécifiques n’ont jamais été un critère principal de diagnostic, il s’agit d’un critère parmi d’autres dans le DSM-V. Les intérêts restreints caractérisent d’ailleurs l’idée de constance, de routine et de répétition dans la façon de vivre, les centres d’intérêts ne sont qu’une seule forme de ces routines. Aucun médecin sérieux ne juge la nature de l’intérêt en question, il se contente d’en évaluer la fréquence et l’intensité.
Le patriarcat est une réalité et influence l’autisme
Cette méconnaissance se traduit également dans l’ignorance de la notion sociologique de patriarcat, Josef se moque du fait qu’il y ait beaucoup de femmes dans le milieu associatif de l’autisme : mais comme la société relègue la charge du care (mot anglais désignant le fait de prendre soin de quelqu’un) aux femmes, ce sont les mères qui se retrouvent à élever seule un enfant handicapé, comme cela s’observe dans les professions liées au métier du care (infirmières, psychologues …). La nature des intérêts spécifiques valorisés ou non suivant le genre et masquant ceux des femmes en est une autre preuve. C’est une conséquence concrète du patriarcat et du validisme.
Josef Schovanec se moque d’une preuve du patriarcat tandis qu’il le reproduit en invoquant l’intérêt pour le sexe comme facteur invalidant pour l’autisme. Nous ne savions pas qu’il avait des tendances moralisatrices patriarcales ramenant les femmes à des êtres irrationnels, guidées par leurs pulsions et leurs émotions et qui ne peuvent que manipuler pour obtenir ce qu’elles voudraient. Rappelons que les femmes autistes sont plus sujettes aux violences sexuelles (51 % des femmes autistes ont déjà déclaré avoir subi une pénétration sexuelle sous la contrainte) et peuvent se faire entraîner dans des relations abusives.
Les autistes les plus exclus ont une diversité de genre et de sexualité
Josef Schovanec dit défendre les autistes réels, mais en retour il les rabaisse en croyant que les sujets liés au genre seraient superflus et ne les concernent pas. Il est pourtant connu depuis longtemps dans la sociologie du handicap que les personnes handicapées cognitives et mentales ne se reconnaissent pas dans les catégories de genre binaires et que la non-binarité est courante en institution, comme en psychiatrie d’ailleurs.
A trop vouloir privilégier une seule représentation de l’autisme, Josef Schovanec se retourne contre les personnes qu’il prétend défendre. Il se place du côté de la psychiatrie et de son monopole, c’est à dire de ceux qui oppriment les personnes autistes dont il parle.
Nous ne sommes pas intéressés par l’affinement des critères de diagnostic en faveur des hommes autistes, nous n’en manquons pas, nous préférons nous concentrer sur les difficultés d’accès aux aides MDPH, au système de santé et à la médecine, à la défense de revenus suffisants pour vivre dignement, aux discriminations que subissent les personnes autistes dans les lieux où elles désirent participer…et les barrières au diagnostic qui privent de nombreux autistes d’un diagnostic.
Il n’y a pas de préférence autiste
Sur l’emploi, nous n’avons pas connaissance de campagne d’emplois prioritaires massive. Il est pourtant souvent expliqué en formation professionnelle sur le handicap que les handicaps mentaux et psychiques “c’est compliqué” à gérer pour les entreprises. Les avantages à marchander une RQTH pour entrer dans le quota d’un employeur deviennent donc caducs. Josef Schovanec sait-il que les entreprises préfèrent payer des amendes en général et qu’il n’y a pas de monde du travail favorable aux handicapés?
Josef Schovanec reprend ensuite des qualificatifs sexistes et choquants pour qualifier des femmes ; tout en mettant en cause certains hommes, qui chercheraient à obtenir un diagnostic pour draguer. Hommes autistes, nous ne voyons pas en quoi le stigmate social associé à l’autisme serait un avantage, des centres d’intérêts féminins comme les danses de salon sont plus efficaces pour cela.
L’autisme : une situation d’oppression donnant du militantisme
Peut être que si Joseph Schovanec n’énonçait pas toutes ces incohérences au sujet du genre, du patriarcat, de la psychiatrie et de l’histoire de l’autisme, il ne serait pas accusé de sexisme ou de validisme. On peut ajouter la transphobie au vu de sa méconnaissance des questions de genre. Pour ne plus subir ces accusations il suffit de se détacher de façon critique de ces attitudes, et de simplement sourcer ses propos.
Non, comme militants des droits des autistes, nous ne pouvons pas opposer les handicaps puisque l’autisme est imbriqué dans de multiples conditions qui le dépassent.
Nous parlons de neurodiversité pour comprendre les interactions entre handicaps et les dynamiques d’oppression.
Les autistes s’intéressent à l’autisme car il s’agit de leur propre survie face à des oppressions systémiques qui causent les pires violences institutionnelles et quotidiennes.
Il n’a pas fallu attendre une augmentation des diagnostics pour cela : l’Autism Network International a commencé dès 1981, et une dizaine d’associations ont fleuri aux Etats-Unis et au Royaume-Uni à partir des années 1990, bien avant ces polémiques et l’apparition du syndrome d’Asperger (1994). Le militantisme autiste existe. Il est réel. Il s’organise dans le monde entier.
Le mouvement de la neurodiversité se bat pour les droits et les problèmes du quotidien de toutes les personnes autistes et incorpore les dynamiques sexistes, racistes, queerphobes et validistes dans sa réflexion.
Il n’a pas le temps de débattre sur de faux diagnostics. Les personnes autistes, a fortiori les femmes, doivent pouvoir s’exprimer en leur nom sans être remises en cause dès qu’elles osent s’affranchir de leur assignation sociale.
Nous serons toujours là pour le rappeler.
CLE Autistes et des personnes autistes.