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#FreeBritney :Britney Spears, la tutelle et les droits humains

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[Description de l’image : Britney Spears au moment de sa carrière, elle a les cheveux blonds et bouclés. Elle se tient devant un panneau avec les marques MTV et le musée de Madame Tussaud lors d’un festival]

La communauté handicapée étasunienne profite de l’affaire Britney Spears pour faire connaître l’approche du handicap fondée sur les droits humains et pour révéler les problématiques du conservatorship et du guardian ship (équivalents de la tutelle et de la curatelle françaises). Pour rappel, Britney Spears a été placée sous une tutelle (conservatorship) de son père Jamie Spears il y a longtemps et de nombreux abus ont été régulièrement révélés. En tant que personne bipolaire, Britney Spears a par exemple été psychiatrisée (internée en hôpital psychiatrique) contre son gré d’après plusieurs sources et à la demande de son tuteur, son père. Britney Spears, star mondiale, n’a donc jamais pu gérer son argent et prendre ses décisions pour elle-même et ses enfants du fait de sa privation de droits, parce qu’elle a été diagnostiquée bipolaire. Ce faisant, elle n’est pas seulement jugée incapable de décider seule, elle est aussi jugée incapable de décider avec le conseil des personnes qu’elle a choisies. Elle ne peut pas avoir le dernier mot lorsqu’elle doit prendre une décision encadrée par la tutelle. Elle peut être internée à la demande de son tuteur.

La décision est une question de privilège valide

Il y a ici un double standard. Dans la même situation, les mêmes règles ne s’appliquent pas aux valides et aux handicapés. Si vous êtes perçu comme handicapé, vos préférences et vos choix ne comptent pas, c’est votre « meilleur intérêt », déterminé par votre tuteur qui prévaut. Sauf que tous les humains fonctionnent ainsi, ils décident en fonction de leur préférence, pas toujours de leur intérêt le plus optimal. Les personnes valides, tout comme les personnes handicapées, prennent conseil auprès d’autres personnes avant de prendre une décision. Elles sont ensuite libres de faire leur choix, qu’il soit le plus optimal ou non. Les personnes handicapées sous un régime de « protection » n’ont pas cette liberté. Les personnes peuvent faire de mauvais choix en étant autonomes, et « ce n’est pas parce que l’on estime que les décisions qu’il prend ne sont pas bonnes que le majeur isolé doit être mis sous tutelle » déclare Mélanie Bessaud en 2019 (cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille à la Direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice). Nous allons plus loin en pensant que, toute personne, quel que soit son niveau d’autonomie, a le droit à l’autodétermination.

Implémenter le régime assisté

C’est aussi ce que préconise l’ONU dans son rapport sur la capacité juridique et l’aide à la décision des personnes handicapées paru en 2018.

Ce rapport préconise aux États de :

– reconnaître la capacité juridique des personnes handicapées dans le Droit national, abolir toutes les lois qui restreignent ce droit fondamental ;

– suspendre l’application de toutes les décisions prises à la place des personnes handicapées par leur tuteur et créer une alternative qui permet aux personnes handicapées actuellement sous tutelle/curatelle de retrouver leur capacité juridique ;

– promouvoir et garantir l’accès, pour ces personnes, à des moyens d’aide à la décision en mobilisant les fonds nécessaires, en coproduisant un cadre réglementaire avec des personnes handicapées et des magistrats formés à ces questions, en proposant des services adaptés etc.

En effet, en France notamment, le handicap fait encore figure d’exception puisque des droits fondamentaux sont retirés aux personnes qui remplissent des critères, a priori juridiques et en réalité médicaux. On retrouve ces critères dans les dispositions de l’article 425 du code civil : « Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre ».

C’est donc en théorie le médecin (dans notre cas, le psychiatre) qui assiste le juge dans sa décision de transférer une partie des droits de la personne handicapée vers son tuteur ou son curateur. Dans les faits, le juge suivra presque toujours l’avis du médecin, ce qui le place dans une position de juge annexe (Foucault). Lorsqu’il s’agit de personnes psychiatrisées, la protection juridique s’accompagne souvent d’une privation de liberté. Mais en France, dans le médico-social (MAS, foyers, IME/IMP, FAM EHPAD) la privation de liberté n’est pas reconnue, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) et le Comité Prévention Torture ne peuvent les visiter.

Privation de liberté : aussi dans les EMS

La juriste de France disability a pu faire reconnaître un cas de privation de liberté dans le médico-social sur la base du handicap à la cour d’appel de Lyon. En avril dernier,  le Conseil d’État avait reconnu face à elle et CLE Autistes que les directeurs d’établissements étaient les seuls légitimes à appliquer les recommandations du ministère de la santé auprès de leurs résidents. Ces recommandations étant plus restrictives que le Droit, les directeurs d’établissements ont donc le pouvoir de restreindre les droits des personnes enfermées dans leurs établissements sans les consulter. Ces deux décisions sont une violation de la Constitution française, de la CEDH et de la Convention de l’ONU relative au handicap. Mais de façon optimiste, cela fournit une base pour que les choses puissent s’améliorer. Pour le moment, les garanties procédurales par exemple lors de privation de liberté sur la base du handicap dans les HPs (juge des libertés) sont très insuffisantes, le juge allant quasi systématiquement dans le sens du psychiatre : on privilégie le « meilleur intérêt » à l’autodétermination. La loi doit selon nous être modifiée pour étendre les pouvoirs du Contrôleur Général des Privations de Liberté aux établissements médico-sociaux du handicap et des EPHAD. 

Une réforme à minima

Enfin, en mars 2019, le gouvernement a réformé les tutelles françaises, en donnant aux personnes concernées les droits de vote et de se marier (de façon très encadrée et contrôlée), suite au rapport accablant de la rapporteuse spéciale des droits des personnes handicapées de l’ONU après sa visite en France. En effectuant ces réformes mineures, l’État français peut faire accroire qu’il respecte les droits fondamentaux des personnes handicapées. En réalité, il ne change pas l’esprit fondamental de la « protection juridique » à la française qui s’oppose totalement aux recommandations de l’ONU que nous citons plus haut (qui demande l’abolition de la notion même d’incapacité juridique). Il évacue le problème fondamental de l’incapacité juridique en donnant de petits droits marginaux et sous contrôle, il occulte à la fois la privation des droits fondamentaux et la privation de liberté des personnes handicapées placés sous le régime de l’incapacité juridique.

Pourtant, il existe de nombreuses alternatives que le passage à un régime assisté permettrait de mettre en place. Nicolas Joncour explique dans son Webinaire le principe de l’aide à la décision et de la mise en place de moyens de communication alternatifs. Chacun dans la vie prend des conseils auprès des autres pour prendre des décisions, celles-ci ont toujours une dimension relationnelle. Il s’agit donc encore d’un privilège que l’on accorde aux personnes valides en normalisant leur aide à la décision (le fait de prendre conseil auprès d’autres personnes), tout en retirant ce droit aux personnes handicapées. En France, l’habilitation familiale moins contraignante existe, mais à terme des comptes bancaires adaptés, des procurations, des agences d’aide à la décision ou de gestion des comptes en banque pourraient voir le jour et procurer une aide à la décision et ainsi garantir la liberté de choix aux personnes handicapées, c’est-à-dire enfin respecter les recommandations de l’ONU et nos droits fondamentaux. 

En Bonus, une critique du film de Sia par Hari Srinivasan, membre de The Autistic Self Advocacy Network, autiste non-oralisant étudiant en psycho à UC Berkeley (Californie).


Sources :

Moyens de communication alternatifs : I-ASC : https://i-asc.org/education/ et Communication First : https://communicationfirst.org/our-work/

[1] : réforme tutelle mars 2019 (attention à la propagande du gouvernement, ces mesures ont été qualifiées de ‘protection’ par les valides, le rapport de la SR sur le sujet ci-dessus montre que ces mesures sont tout le contraire d’une protection) : http://www.justice.gouv.fr/justice-civile-11861/reforme-des-regles-applicables-aux-majeurs-vulnerables-32335.html

[2] : A/HRC/40/54/Add.1 disponible sur : https://www.ohchr.org/EN/Issues/Disability/SRDisabilities/Pages/Countryvisits.aspx

[3] : Captive & Invisible https://embracingdiversitynet.wordpress.com/

[4] : Rapport SR privation de la capacité juridique et prise de décision assistée (dispo en Fr) : https://www.ohchr.org/EN/Issues/Disability/SRDisabilities/Pages/LegalCapacity.aspx

[5] : The test of deprivation of liberty frameworks in the context of Covid-19 outbreak: comparative study of legal proceedings in France and UK : https://thesmallplaces.wordpress.com/2020/10/26/guest-post-from-maryna-zholud-py-the-test-of-deprivation-of-liberty-frameworks-in-the-context-of-covid-19-outbreak-comparative-study-of-legal-proceedings-in-france-and-uk/

[6] : Observation générale n°1 de la commission sur l’article 12 (dispo en Fr) : https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CRPD/Pages/GC.aspx

[7] : Rapport SR privation de liberté sur la base du handicap https://www.ohchr.org/EN/Issues/Disability/SRDisabilities/Pages/LibertyAndSecurity.aspx

[8] : SR International Principles and Guidelines on access to justice for persons with disabilities https://www.ohchr.org/EN/Issues/Disability/SRDisabilities/Pages/GoodPracticesEffectiveAccessJusticePersonsDisabilities.aspx

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