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Neurodiversité : Éclaircissons quelques idées reçues

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Le fait que vous reconnaissiez la valeur des différences neurologiques ne veut pas dire que vous niez la réalité du handicap. 

Traduction par Les bénévoles du Pôle Traductions du blog de Scientific Américan par Aiyana Bailin, le 6 juin 2019

A mon grand désespoir, le récent article de Simon Baron-Cohen, Le concept de neurodiversité divise la communauté autiste, perpétue une incompréhension répandue à propos du mouvement de la neurodiversité : le fait qu’il voit l’autisme comme une différence et non un handicap.

Baron-Cohen présente le problème comme deux côtés qui s’opposent : le modèle médical, qui voit l’autisme comme une suite de symptômes et de déficits à guérir ou traiter, et le modèle de la neurodiversité, qu’il décrit comme ignorant tout aspect handicapant de l’autisme. Malheureusement, c’est confondre le mouvement de la neurodiversité avec le modèle social du handicap, en plus d’être une compréhension incomplète de ce dernier.

Avant que je détaille plus en profondeur, laissez-moi résumer ce en quoi le mouvement de la neurodiversité croit, vraiment :

·       L’autisme et les autres variations neurologiques (troubles de l’apprentissage, TDAH, etc) sont handicapantes mais ne sont pas des défauts. Les personnes avec des différences neurologiques ne sont ni des versions cassées ni des version incomplètes des gens normaux.

·       Le handicap, peu importe sa gravité, ne diminue en rien l’individualité. Les personnes avec des cerveaux atypiques sont complétements humains, avec des droits humains inaliénables, comme tout le monde.

·       Les personnes avec des handicaps peuvent vivre des vies riches et pleines de sens.

·       Les variations neurologiques sont une part vitale de l’humanité, autant que les variations de taille, forme, couleur de peau et personnalité. Aucun de nous n’a le droit (ou le sagesse) d’essayer d’améliorer notre espèce en décidant quelle caractéristique garder et de quelle caractéristique se débarrasser. Toute personne a de la valeur.

·       Le handicap est un concept complexe. Souvent, il est défini plus par les attentes de la société que par des conditions propre aux individus. Pas toujours, mais souvent.

Le modèle social du handicap a été théorisé par les études sur le handicap. Son principe est qu’une personne est « handicapée » quand l’environnement (sociétal) n’accommode pas ses besoins.

Exemple : dans un monde où il y a des rampes et des ascenseurs partout, une personne utilisant un fauteuil roulant n’est pas « handicapée », puisqu’elle peut accéder à toutes les mêmes choses qu’une personne qui marche : les écoles, les jobs, les restaurants, etc. Par contre, donner les mêmes opportunités à tout le monde ne veut pas dire ignorer les différences et difficultés que les utilisateurs de fauteuil roulant vivent.

Dans l’article Le droit à ne pas travailler : pouvoir et handicap (The Right Not to Work: Power and Disability), publié en 2004, Sunny Taylor explique : « Le fait d’être mentalement ou physiquement mis en difficulté est ce que les théoriciens du handicap appellent être déficient ; la déficience s’accompagne de défis personnels et d’inconvénients en termes de processus mentaux et de mobilité physique…

L’handicap, par contraste, est la répression sociale et politique des personnes déficientes. Ceci est accompli en les rendant économiquement et socialement isolés. Les personnes handicapées ont des options limités en termes d’habitats, sont socialement et culturellement ostracisés et très peu d’opportunités en termes de carrière. »

Très peu (si ce n’est aucun) de défenseurs de la neurodiversité nient qu’il existe des déficiences liées à l’autisme. Ou que certaines de ces déficiences sont plus difficiles à gérer que d’autres, que ce soit avec ou sans aménagements. Nous espérons, tout comme Baron-Cohen, résoudre les problèmes de santé qui accompagnent souvent l’autisme, comme l’épilepsie ou les problèmes digestifs. Mais bien que ces derniers soient plus communs chez les personnes autistes que chez les personnes non-autistes (ou neurotypiques), ils ne sont pas des symptômes de l’autisme.

Et la culture influence ces choses là aussi. Selon l’endroit et le moment dans l’histoire, l’épilepsie pouvait te faire devenir un shaman respecté ou quelqu’un suspecté d’être possédé par un démon. Les allergies au gluten sont bien plus faciles à accommoder qu’elles l’étaient il y a vingt ans, avant que les entreprises de nourritures commencent à proposer des produits gluten-free. Si le blé et la seigle disparaissaient, l’allergie au gluten ne serait plus jamais un handicap. 

Quand nous parlons de ne pas pathologiser l’autisme, ne nous voulons pas dire « faire comme si les personnes autistes n’ont pas de déficiences ». Mais nous ne voulons pas partir du principe que les différences neurologiques et de comportement sont toujours un problème. Par exemple, il n’y a rien de problématique en soi au fait de ne pas aimer les activités sociales. Ne pas vouloir sociabiliser est différent de vouloir participer et ne pas en être capable. Les deux sont des possibilités pour les personnes autistes. L’une demande l’acceptation, l’autre de l’aide. Malheureusement, je n’ai pas encore rencontré de psychologue qui ne traitent pas les deux comme des équivalents qui ont besoin d’être corrigés. 

Bien que beaucoup de choses se retrouvent à la fois dans le modèle social et l’approche autour de la neurodiversité, cette dernière est principalement un appel à inclure et respecter les personnes dont le cerveau fonctionne de manière atypique, peut importe leur niveau de handicap (je me concentre ici sur l’autisme mais la neurodiversité concerne tous les types de cerveaux). Cela nécessite de remettre en question nos apriori à propos de ce qui est normal, nécessaire et désirable pour qu’une personne vive bien.

Bien sûr, des meilleurs aménagement et moins de stigmates amélioreront nos vies de façon significative. Mais ce serait aussi le cas d’une définition plus large de ce que peut être une vie pleine de sens. Comme Taylor le dit : « La culture occidentale a une idée très limitée de ce qu’est être utile à la société. Les gens peuvent être utiles autrement que monétairement”.

Le mouvement de la neurodiversité veut donner des outils aux personnes autistes pour qu’elles réussissent dans le milieu du travail, sans couvrir de honte ceux qui ne seront jamais financièrement (ou physiquement) indépendant. Nous sommes convaincu qu’une personne qui a besoin de soins toute sa vie est capable d’être heureuse et d’atteindre des objectifs personnels. Taylor rajoute : « L’indépendance est peut-être ce qu’il y a de plus précieux dans ce pays, et pour les personnes handicapées cela veut dire que nos vies sont automatiquement vues comme tragiquement dépendantes. »

Mais est-ce que l’indépendance a vraiment à voir avec le fait d’être capable de se brosser les dents tout seul ou est-ce plutôt pouvoir choisir ses propres amis ? Les théoriciens du handicap les militants de la neurodiversité pensent que le deuxième est bien plus important. La plupart des thérapies, par contre, n’apprennent que des compétences pratiques, pas l’émancipation personnelle.

Quand nous disons que l’autisme est juste une autre façon d’être humain, nous voulons dire qu’une déficience profonde n’influence en rien le droit à la dignité, la vie privée et autant d’auto-détermination possible, que cela veuille dire choisir sa carrière ou choisir ses habits. Je suis mal à l’aise de voir à quel point les personnes autistes se font souvent filmés dans les pires situations, de façon non-consentie et pour ensuite poster les vidéos sur internet afin que le monde entier les voie. Vous seriez probablement furieux si quelqu’un faisait cela alors que vous étiez dans vos pires moments ! Le fait que ces enfants (et adultes) ne puissent pas se défendre ne veut pas dirent qu’ils sont d’accord. L’impossibilité de répondre n’est pas consentement. De plus, on apprend aux enfants autistes à cacher leur inconfort, à réprimer leur personnalité et à être plus obéissant que leurs camarades neurotypiques, ce qui les rend plus à risque en terme d’harcèlement et d’abus sexuel.

Respecter la neurodiversité veut dire respecter les choix non-verbaux, même si ces choix sont « bizarres » ou « pas appropriés à l’âge ». Cela veut dire respecter le mot « non », qu’il soit dit, signé ou montré par le comportement.

Cela veut dire donner la même quantité d’attention à quelqu’un qui utilise un appareil AAC (augmentative and alternative communication) qu’à quelqu’un qui verbalise. C’est comprendre que mettre en sourdine un appareil AAC est l’équivalent moral de taper sur la bouche d’un enfant qui communique oralement.

Cela veut dire ne pas parler à un enfant de 10 ans comme à un bébé, avec une voix aigüe, même si cet enfant porte encore des couches et met du sable dans sa bouche. Cela veut dire ne jamais laisser un enfant entendre se faire décrire comme « beaucoup de travail », « un puzzle » ou « si en retard », peu importe son âge et si vous pensez qu’il est incapable de comprendre. L’incapacité de répondre ne veut pas dire l’incapacité de comprendre, comme le disent énormément de militants comme Carly Fleischmann et Ido Kedar.

Baron-Cohen mentionne les « difficultés sociales » comme un handicap de l’autisme, et pour beaucoup de personnes autistes, leurs difficultés sociales sont effectivement handicapants. Mais ce n’est pas le tableau entier. Certains personnes autistes préfèrent sincèrement être seuls. Beaucoup de personnes autistes socialisent mieux avec d’autres personnes autistes qu’avec leurs camarades typiques.

Nous devrions donc peut-être arrêter de juger leurs compétences sociales seulement à partir de leurs interactions avec des personnes neurotypiques. Et, peut-être le plus important, l’une des plus grandes difficultés sociales auxquelles les personnes autistes doivent faire face est la réticence des personnes neurotypiques à interagir avec ceux qu’ils jugent comme « différents ».

C’est un problème social causé pour les personnes autistes par les personnes non autistes, pas un handicap social de l’autisme. Demander seulement aux personnes autistes de changer leur façon de socialiser c’est comme demander aux minorités de parler et de s’habiller comme les personnes blanches pour être acceptés. C’est une très mauvaise façon de combattre les préjudices, qu’ils soient raciaux ou neurologiques.

De plus en plus de gens utilisent le langage de la neurodiversité, en disant d’accepter et d’encourager les différences autistiques. Malheureusement, peu importe la façon dont ils le formulent, la plupart des thérapies pour l’autisme placent le « comportement le plus typique possible » comme but ultime. Et ce même si de nombreux adultes autistes alertent sur le fait que faire semblant d’être normal trop longtemps mène à la dépression, le burn-out et même plus tard, à la régression, plusieurs années après que la thérapie ait été déclarée un succès. Respecter la neurodiversité veut dire ne pas insister pour qu’il y ait contact visuel, quand les personnes autistes ont dit (encore et encore et encore) que le contact visuel était si dur, si submergeant et si stressant que ça détruit notre capacité à se concentrer.

C’est la même chose avec l’idée de « mains calmes » ou tout moment où l’on force un enfant autiste à agir de façon typique au prix de l’énergie dont ils ont besoin pour leur développement intellectuel ou personnel. Des études confirment enfin ce que les personnes autistes disent depuis des décennies : les résultats sont bien meilleurs quand ce sont les aidants à qui l’on apprend à se comporter autrement plutôt que les enfants. C’est tragique à quel point le point de vue des concernés est ignoré par les chercheurs et les personnes en charge des thérapies.

Penser en termes de neurodiversité veut dire remettre en question les apriori qui prétendent que le jeu est nécessaire, simplement parce que c’est ce que les enfants neurotypiques font. Bien que les enfants typiques apprennent en essayant entre chaque étape, beaucoup d’enfants autistes apprennent mieux en observant longtemps avant d’essayer. Et de la même façon que ceux qui apprennent mieux visuellement ou auditivement devraient être autorisés à utiliser la méthode d’apprentissage qui leur convient le mieux, les enfants autistes devraient pouvoir apprendre comme ils veulent. Nous devrions respecter qu’ils apprennent généralement dans un ordre différent que les enfants typiques, et arrêter de calculer leur progrès à partir des échéanciers du développement neurotypique.

Je travaille en tant que soignant de relève. J’ai eu des patients sur le spectre (et avec d’autres handicap développementaux) qui avaient de 4 à 20 ans. Beaucoup sont non-verbaux ou verbalisent de façon minimal. Je suis convaincu qu’ils sont tous intelligent à leur façon, même s’ils ont des handicaps intellectuels. J’ai des patients qui font des meltdowns ou explosent. J’empathise avec leur frustration.  J’ai des patients qui se mordent ou me mordent. Je suis convaincu qu’ils ne le font jamais sans raison. J’ai des patients qui communiquent sans faire de phrases, des applications, des dessins ou simplement en m’amenant à ce dont ils ont envie. Je ne veux pas changer leur style de communication. Je veux l’apprendre comme un second langage. J’ai des patients qui peuvent passer pour des personnes non-autistes et des patients qui ne vivront probablement jamais seul. Je ne sais pas lequel aura une vie plus remplie et plus plaisante. 

Il y a des combats qui viennent avec le fait d’être loin d’être « normale » et d’autres avec celui d’être presque « normal » (sans même mentionner que les vies typiques ont leur lot de combats). La difficulté fait partie de la vie de chacun, pas seulement de celle des personnes handicapées. Beaucoup d’entre nous partent du principe que l’on sait à quoi ressemble une bonne vie, mais nous sommes très limités par nos propres expériences. Une bonne vie peut prendre différents sens selon les personnes. Demandez simplement à un réfugié syrien et à un New-yorkais mondain ce dont ils ont besoin pour être heureux.

Mes patients sont compliqués, comme tous les êtres humains. J’ai des patients qui font des choses dégoutantes et socialement inappropriées en public. Si je suis gêné par leurs actions, c’est mon problème, pas le leur. J’ai des patients qui me caressent gentiment les cheveux avec leurs mains tremblantes, qui partagent silencieusement leur nourriture préférée avec moi, qui flappent et sautent et font des cris perçants pour traduire leur excitation quand ils arrivent à leur porte. Je n’échangerais leurs mains qui flappent et leurs yeux brillants pour rien au monde. Leur existence-même est magnifique.

Mes patients ont généralement des déficiences. Mes patients sont souvent handicapés. Mes patients sont tous des personnes cool et intéressantes. Certains de mes patients remarquent des choses que les autres ne voient pas. Certains communiquent de façon éloquente sans le langage. Certains font des blagues en utilisant seulement un ou deux mots. Certains ont des compétences de mémoire, d’ingénieur ou de musique qui me rendent envieux. Vous pourriez être très surpris par à quel patient correspondent chaque description.

Respecter la neurodiversité veut dire remettre en question nos apriori sur ce qu’est l’intelligence et comment la mesurer. Cela veut dire nous rappeler que simplement parce qu’une personne ne peut pas parler, cela ne veut pas dire qu’elle n’écoute pas. Cela veut dire ne pas demander à quelqu’un de prouver son intelligence avant de lui avoir parler d’une façon appropriée à son âge ou leur avoir proposé des opportunités intellectuellement stimulantes. Cela veut dire se rappeler qu’il peut y avoir une grande absence de connexion entre l’esprit et le corps, et que les actions de quelqu’un ne reflètent pas forcement ses intentions, surtout quand elle est submergée et frustrée.

Respecter la neurodiversité veut dire que la communauté professionnelle doit s’excuser pour les décennies où elle a insisté, à tort, que les personnes autiste avaient un manque d’émotion ou d’empathie et pour tout le mal, physique comme psychologique qu’elle a infligé (et inflige encore) aux personnes autistes à cause de ces erreurs. Cela veut dire se demander si certaines « faiblesses » ne sont pas plutôt des forces cachées. Se demander « cette activité / cette compétence / cet objectif de comportement est-il nécessaire ou juste normal ? » et « qu’est-ce que nous, les adultes, pouvons faire différemment pour que nos enfants n’aient pas besoin de le faire ? » 

J’imagine déjà les parents : « Mais je dois apprendre à mon enfant à se mouvoir dans ce monde ! Peut-être que moi je suis prêt à changer pour lui mais ce ne sera pas le cas de tout le monde ». Vous pouvez apprendre à vos enfants les règles de la société sans laisser ces leçons les dévorer. Les enfants à l’école doivent lever la main et attendre pour parler mais on ne leur demande pas de le faire à la maison. Faire d’un instrument est épuisant, on ne demande donc pas à de jeunes enfants d’en faire pendant des heures d’affilés. Il faut traiter le fait d’agir « normalement » de la même façon.

C’est du travail et du travail compliqué. N’exigez pas de le faire en permanence. Reconnaissez que c’est généralement compliqué et parfois douloureux. Demandez-vous ce que vous autoriseriez pour un enfant valide. Est-ce que vous laisseriez un psychologue la restreindre physiquement parce qu’elle se ronge les ongles ? Cacher sa nourriture favorite jusqu’à atteindre la coopération ? Si ce n’est pas moral pour un enfant neurotypique, ce n’est pas moral pour un enfant autiste.

Respecter la neurodiversité veut dire écouter les adultes autistes et les prendre au sérieux quand ils vous disent que le coup psychologique d’avoir l’air normal est bien supérieur aux bénéfices que cela peut apporter.

Cela veut dire accepter que certains enfants apprendront à écrire mais jamais à parler, comprendront toujours mieux la musique que les bonnes manières, ne s’intéresseront jamais au sport, ou ne s’identifieront pas à un genre binaire ; et qu’il y a de la place pour apprécier et célébrer tous ces individus pour qui ils sont, peu importe la quantité d’aide dont ils besoin. Cela rend leur monde, et le nôtre, un endroit bien plus agréable.

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