L’après midi du colloque “Politiques de l’autisme : comparaison Royaume-Uni et France‘” a été consacrée aux initiatives militantes et politiques du monde de l’autisme : Les initiatives par et pour les autistes au Royaume Uni, puis CLE Autistes a présenté le contexte français et la place de la neurodiversité dans un système différent.
Partie 1 : Politiques du stimming et fiertés autistes par Sarah Jane Harvey (Agony Autie), politiques socialistes de la neurodiversité du Labour par Janine Booth.
Initiatives par et pour les autistes au Royaume-Uni
Panda Mery, militant autiste anglais d’origine française installé au Royaume-Uni, a présenté les initiatives (organisations, festivals, campagnes, actions) politiques dans le sens du droit des autistes et conçus par elleux.
L’histoire du militantisme autiste et du handicap est très différente de la France tant au niveau de la reconnaissance et du diagnostic de l’autisme, que dans le militantisme associatif.
Histoire brève du diagnostic de l’autisme au RU
En 1962, la National Autistic Society (NAS) est créée, dès 1972 la triade des incapacités (communication, intéraction, imagination sociale) caractérisant l’autisme de la psychiatre Lorna Wing est publiée.
En 1979, la prévalence de l’autisme au Royaume-Uni est déjà de 21,2 enfants sur 10 000 au lieu des 4 sur 10 000 proposés (ce taux fut encore la prévalence de la France en 2003).
En 1980, Lorna Wing propose le concept de Spectre autistique. En 1981 elle propose le syndrome d’Asperger à partir de la thèse traduite de Hans Asperger.
En 1993, le modèle social du handicap est conceptualisé et publié par des militants handicapés anglais comme Mike Oliver (ce modèle est inspiré du syndicat des handicapés physiques contre la ségrégation en 1975 aux Etats-Unis).
En 2009 l’Autism Act définit une politique de l’autisme qui ne situe pas uniquement dans le champ du handicap mental et de la maladie mentale.
Histoire brève du militantisme autiste au RU
1984 : Création de People First, le mouvement d’auto-représentation des personnes handicapées intellectuelles. Aujourd’hui il s’agit de Learning Disability England
1994 : Création d’une association Autisme et informatique
1999 : Création d’une association : Personnes autistes contre les Abus des neuroleptiques
2003 : Création d’une association de la neurodiversité adulte développementale.
2004 : Création de Aspies For Freedom. Ses campagnes furent : une pétition pour reconnaitre les personnes autistes comme une minorité culturelle au niveau de l’ONU. La journée internationale de la fierté autistique le 18 juin qu’explique Agony Autie
2007 : Création d’une association Mouvement des droits autistes de Londres.
Le Royaume-Uni a une histoire riche et dynamique avec une création continue d’associations engagées et militantes avec comme paradigme la neurodiversité. On remarque que c’est une continuité des mouvements militants des droits du handicap (physique ou mental) et du modèle social du handicap. La neurodiversité fait consensus et est logique au sein des associations existantes.
Aujourd’hui diverses associations de personnes autistes existent : Autism Rights Group Highland (ARGH), Autistic UK, AutAngel, Autistic Mutual Aid Society de Edinburgh, National Autistic TaskForce, Autistic Empire, Autistic Inclusive Meets, Scottish Women’s Autism Network.
Des festivals
De nombreux évènements culturels pour l’autisme et la neurodiversité ont été crées au Royaume-Uni .
L’Autscape qui est une rencontre de 4 jours entres autistes de l’Union européenne a été créée en 2005. On peut assister à des conférences, des groupes de parole, des discussions et faire des activités culturelles entre personnes autistes et dans des espaces conçus pour elleux. En 4 ans le nombre a doublé.
Le festival des Arts Autistes qui a lieu tous les 2 ans depuis 2017. Des spectacles, des films, des lectures font place à tous les artistes neurodivergent.e.s.
Le festival de la culture dyslexique qui a eu lieu en 2014 et 2015.
L’AutismCon une journée de conférences et d’activités diverses par et pour les personnes autistes.
Les espaces ont été conçus pour être accessibles aux autistes, on y a notamment importé des Etats-Unis : les badges de communication, les casques, le flappause, les salles à manger et les pièces silencieuses ou encore une salle remplie de stimstoys. Les personnes autistes ne sont pas infantilisées et sont vues comme responsables de leurs besoins.
Des campagnes militantes
Au vu de ce tissu riche d’associations autistes, diverses campagnes politiques ont été organisées pour rendre visible les personnes autistes et revendiquer leurs droits.
Les #107Days d’action en 2015 pour une personne autiste morte après avoir réagi à un médicament non conseillé à l’hôpital (#JusticeForLB).
7 jours d’actions contre les unités psychiatriques où 3000 personnes autistes avec handicap intellectuel sont encore détenues.
Une action contre le puzzle de l’autisme.
Une exposition sur les droits et la dignité des personnes autistes avec handicap intellectuel.
Manifestation contre le projet européen de recherche AIMS-Trials et son essai clinique de l’Arbclofène (qui veut soigner les troubles sociaux).
Une campagne sur la criminalisation des autistes et l’injustice.
Une interruption et une campagne contre une pièce de Théâtre représentant un autiste non-oralisant sous la forme d’une marionnette : le #PuppetGate en 2019
Une semaine de manifestations pour les droits humains des autistes.
Université et recherche
De nombreuses initiatives pour rapprocher les chercheur.euses et les personnes autistes ont été organisées au Royaume-Uni depuis 2015.
-Un réseau communautaire pour partager les expériences et les savoirs.
-Des séminaires et conférences communes.
Des programmes de recherches participatives comme Shaping Autism Research, Aut2Engage, Auternative (une société adaptée aux autistes) pour mettre en valeur les stratégies autistiques et les barrières à la participation sociale. Des universités (Edinburgh, CRAE, Exeter, Kent, Sheffield, etc…) ont adopté cette politique de recherche participative.
France : la neurodiversité comme troisième voie
Après cette présentation des politiques de l’autisme au Royaume-Uni, on peut comparer aisément avec la situation française.
Le porte -parole de CLE Autistes a fait une présentation sur la situation française et les possibilités pour la neurodiversité de s’implanter.
Une histoire du handicap radicalement différente
La situation française sur le handicap est très différente. Au vu du faible investissement de l’Etat dans le champ du handicap, les besoins financés par lui sont délégués aux associations de parents qui gèrent la majorité des institutions pour les personnes handicapées (Chamak ).
Le modèle médical du handicap est très important et le modèle social du handicap n’est pas connu. Le champ des disability studies : travaux universitaires de sciences humaines et sociales qui mettent en avant le validisme et la construction sociale du handicap, ne sont quasiment pas développées en France et ne disposent pas de chaires financées (idem pour les études du genre, queer, postcoloniales etc…) contrairement au Royaume-Uni, au Canada ou aux Etats-Unis. En conséquence, il n’y a pas de théories, d’analyses qui vont être diffusées dans les universités et dans les médias permettant d’adopter une autre conception du handicap.
La France a une culture républicaine et universaliste qui crée une grande méfiance à l’encontre des groupes minoritaires revendiquant leurs droits. Les personnes minoritaires qui osent critiquer les inégalités de la République sont taxés de “communautaristes” et sont vus comme égoïstes et autocentrés menaçant l’unité nationale. En conséquence, beaucoup de personnes handicapées préfèrent s’engager auprès des principales associations gestionnaires de parents, pensant qu’elles auront une influence. Les groupes d’auto-représentation sont donc petits et marginaux . Mais ce système ne permet pas l’inclusion, il y a une forte ségrégation avec 500 000 personnes handicapées en institutions résidentielles selon l’ONU.
Histoire du diagnostic d’autisme en France
Contrairement à l’histoire ci-dessus du diagnostic d’autisme au Royaume-Uni, la conception de l’autisme comme une schizophrénie infantile et une maladie mentale évolutive a été conservée jusqu’en 1996. Cela est du notamment à la persistance de la psychanalyse dans les services de santé mentale et de la psychiatrie.
A partir de 1968, la psychanalyse s’impose en France grâce aux figures charismatiques de Lacan et de Dolto alors qu’elle commence à décliner dans tous les pays occidentaux (le DSM bascule dans le champ des neurosciences en 1980).
Sous l’action de Autisme France à partir des années 90, les associations de parents conduisent à considérer l’autisme comme un handicap développemental dans la loi chossy. Cette définition administrative de l’autisme permet de rentrer dans le champ de la loi de 1975 sur le handicap et l’intégration scolaire, un handicap permet en effet d’accéder à l’éducation spécialisée ou ordinaire.
La différence est majeure : ce ne sont pas des psychiatres qui ont imposé cette définition dans la recherche scientifique et on fait évoluer la prise en charge comme Lorna Wing. C’est une décision législative via la loi Chossy qui décide que l’autisme est un handicap développemental en France. En conséquence, le corps professionnel du médico-social et de la psychiatrie n’est absolument pas convaincu par cette définition et veut conserver ses pratiques de psychothérapie institutionnelle. Il s’ensuit une bataille entre parents et professionnels de santé à partir des années 2000.
Une bataille politique, médiatique et judiciaire
L’INSERM montre que la psychothérapie institutionnelle n’a aucun effet dans la prise en charge de l’autisme en 2004. Des chercheurs proches des neurosciences de leur coté parviennent à faire adopter la Classification mondiale des maladies dans le champ de la psychiatrie en 2005. En effet, la France avait sa propre classification psychanalytique la CFTMEA pour les enfants et adolescents (et donc pas les adultes) .
Dans la CFTMEA, L’autisme là dedans est la forme la plus sévère d’une psychose. Des personnes proches de l’autisme ont des diagnostics de psychose infantile ou des dysharmonies évolutives. On remarque que cela ne recoupe pas la prévalence du DSM5 pour moitié, la moitié des autistes ont juste des “personnalités originales”. Mais la population est tout autant identique, avec des étiquettes différentes. Le champ français parle de psychoses infantiles qui s’opposent aux Troubles envahissants du développement du champ américain et anglais.
L’autre différence majeure avec le contexte anglais est cette importation d’un savoir scientifique étranger sur l’autisme qui arrive de façon simultanée avec les premiers autistes s’exprimant en association. L’association SaTEDI est ainsi créée en 2004 pour rassembler des personnes autistes sans déficiences intellectuelles, population inconnue en France à l’époque. Il n’y a donc pas de continuité ni de gradation comme au Royaume-Uni, on voit apparaitre plusieurs nouveaux discours sur l’autisme en même temps.
Naissance des politiques françaises de l’autisme
Au niveau du militantisme, SaTEDi s’inscrit évidemment dans un contexte français républicain qui récuse le communautarisme, on ne peut pas parler de militantisme et encore moins de neurodiversité pour cette association. Sa mission est essentiellement l’information sur l’autisme dans un contexte où personne ne connait l’autisme. A l’époque il n’y avait pas non-plus de demandes de diagnostic adulte. A SaTEDi, il y avait des personnes ayant obtenu leur diagnostic à l’étranger ou qui avaient été diagnostiqués enfant. Il n’y avait quasiment pas de personnes adultes diagnostiquées tardivement en France.
A partir de 2010, sous l’action des parents qui se servent des nouvelles recommandations de la HAS sur l’autisme, les campagnes contre les psychanalystes s’amplifient. On peut dire que la psychanalyse commence à être totalement rejetée à partir du plan 3 autisme. Une série de victoires judiciaires au niveau européen et international confortent également l’Etat français a changer sa politique sur l’autisme.
Le plan 4 autisme d’Emmanuel Macron annonce un objectif centré sur l’inclusion plutôt que les approches thérapeutiques pour l’autisme. Il y a un changement systémique réel qui peut se produire. Pour CLE Autistes, la bataille des parents contre les psychanalystes se justifient plus par le souhait d’un traitement contre l’autisme grâce à une vraie science (biomédicale ou comportementale) que par le souhait de la vie autonome. Les droits fondamentaux ne peuvent se résumer à l’inclusion, ils incluent aussi le consentement libre et éclairé et le droit de conserver son identité (article 29 de la convention de l’ONU).
Conclusion
C’est finalement le vide laissé par la conception psychanalytique qui peut aider le concept de neurodiversité à s’implanter en France. Importer un savoir scientifique sur l’autisme (qui est majoritairement pathologisant et médical) dans un contexte socio-culturel différent n’est pas aisé. Les discours de personnes concernées viennent également en même temps que lui, si bien que plusieurs discours rentrent en concurrence en même temps. Le discours scientifique dominant ne peut pas forcément s’imposer et s’institutionnaliser dans ces conditions.
Au travers des politiques de l’autisme au Royaume Uni et en France, on voit que deux conceptions s’opposent : bottom-up contre top-down. Le Royaume-Uni se distingue par une évolution scientifique des connaissances sur l’autisme provoquant la formation de nombreux mouvements militants de personnes autistes dans les années 90. Et c’est cette action politique qui permet une évolution législative seulement en 2009. Il y a une continuité.
La France au contraire se voit imposer une évolution législative dès 1996, sans avoir de terreau scientifique, décidée par l’Etat via des actions de lobbying des associations de parents. Il s’agit également d’une continuité par rapport au système français du handicap (cogestion État-associations). Mais celui-ci ne permet pas l’expression des personnes concernées et encore moins leur organisation autonome. Il implique également un débat public sur l’autisme assez violent vu qu’il s’agit d’imposer une conception sur un corps professionnel qui en a une autre. Ces controverses n’ont pas lieu dans d’autres pays européens et pas au Royaume-Uni.
Le mouvement de la neurodiversité peut être une troisième voie dans ces conditions car une telle bataille est stérile, les croyances ne se suppriment pas par la force. Pour les personnes autistes, il s’agit également d’un débat du modèle médical dont la question est de trouver la méthode la plus efficace pour soigner ou rééduquer les personnes autistes vers la norme neurotypique et valide. Les méthodes comportementales ne s’imposent pas non plus réellement et ne sont pas soutenues financièrement par la sécurité sociale, ce qui empêche leur institutionnalisation. Il faut noter aussi que le Royaume-Uni ne les a pas favorisé non plus contrairement à l’Amérique du Nord. Il y a une spécificité européenne.
Le champ est donc libre pour que la neurodiversité puisse s’imposer comme discours alternatif et efficace puisqu’il s’agit d’un discours politique ne dépendant pas d’une prise en charge et de courants thérapeutiques. La psychanalyse ne permet pas de comprendre l’autisme et il faut vulgariser les connaissances. Mais c’est principalement le cadre politique qui permet l’acceptation des personnes autistes et leurs droits fondamentaux. Le mouvement de la neurodiversité c’est ça, tout simplement.
Présentation PowerPoint de CLE Autistes : Télécharger