Au salon d'Autisme 95 l'auberge espagnole contre l'autisme

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Le 16 novembre dernier, l’association Autisme 95 (Val d’Oise), dont est issue l’association Autistes Sans Frontières, organisait un salon afin de présenter diverses méthodes et approches d’accompagnement de l’autisme. Ce salon, financé par le Rotary Club local et le Crédit Agricole, comprenait plusieurs conférences dont le seul point commun est de “traiter l’autisme” – quelque soit l’origine ou la validité scientifique de la méthode.

Description de l’image : affiche pour annoncer le salon de l’autisme par Autisme Action 95, le samedi 16 novembre 2019 de 11h à 22h à Gonesse. Il était soutenu notamment par Autistes Sans frontières, le rotary club, les ateliers bleues, le crédit agricole…

L’ARI à la droite d’Autism Speaks 

La journée a débuté sur une conférence douteuse abordant les troubles du comportement alimentaire des personnes autistes. Présentée de façon plutôt séduisante par un docteur spécialisé en nutrition, l’intitulé de son association, “Autism Research Institute en France” (ARIF), fait écho à , un institut de recherche aux américain soutenant une approche biomédicale de l’autisme (l’ARI) [1]. Affranchi de toute validation médicale, l’institut se focalise à présent  sur la nutrition et la réduction de l’exposition à des toxines… Un manque de rigueur qui a conduit l’association Autism Speaks, qui partageait pourtant certaines de ces thèses, à s’en démarquer par soucis de respectabilité.

Aucune information sur la page Facebook ne donne toutefois d’informations précises sur les activités de l’association et il n’y a pas de site internet. Le conférencier, M. Zahouni, président de l’association ARIF, détient toutefois une thèse, de même qu’il a publié sur le sujet élargi de la nutrition (cf image).

Image : Capture des publications du conférencier sur Google scholar (permettant d’évaluer la production scientifique des auteurs et autrices) : Nonobstant l’absence flagrante d’expertise sur la thématique, le brevet et les activités de ce conférencier représentent un conflit d’intérêt majeur qui nuisent à la crédibilité.

Cependant, aucune ne concerne l’autisme, ni les troubles du comportement alimentaire. Si M. Zahouani n’a rien publié depuis une vingtaine d’années, il possède un brevet non-accepté visant à réduire l’obésité ! Dans le même temps, son activité dans une entreprise de production d’oméga-3 (PROTINOVA) représente un conflit d’intérêt non-déclaré. D’une grande opacité et avec les mêmes thématiques de recherche,  l’Autism Research Institute France est-elle une branche de l’Autism Research Institute des États-unis ? Cette conférence a-t-elle servi à promouvoir les régimes GAPS et stricts contenant justement des oméga-3 pour diminuer les symptômes de l’autisme ?

Promotion de SonRise et d’Optim-Autisme : festival des pseudo- médecines

Programme des conférences du Salon de l’autisme. Entre conférences sur la nutrition, soins somatiques, solutions de vie autonome, approche psychoéducative et ABA/sonrise ou la gestion de la tutelle.

La journée a été clôturée par la présidente de la branche française SonRise. Notre collectif est historiquement engagé dans la lutte contre “l’alternative” Sonrise : la méthode est capacitiste, et présente notamment l’autisme comme résultant d’un développement anormal qu’il est nécessaire de “dépasser”. Elle est accusée également de dérives sectaires aux États-Unis, et s’inscrit dans le collimateur des thérapies alternatives réputées dangereuses : promouvant la mise en place systématique de régimes de restriction, elle pourrait s’avérer plus nocive encore, d’après ce que nous avons entendu et dénoncé à la conférence d’Antibes.

Un étalage chatoyant, qui ne manque pas de faire la part belle, donc, aux “alternatives” autant qu’à la pseudo-science : nous tenons ainsi à reconnaître un certain esprit de continuité, matérialisé par la conférence donnée en la faveur des soins énergétiques Reïki [2].

En finalité, la journée était inégalement découpée : on remarque  des conférences utiles comme celle de Djéa Saravane sur les soins somatiques, ou encore d’autres présentant des solutions de vie autonome. Cependant, une majorité des interventions faisait la promotion de méthodes ABA appliquées de façon rigide,  se greffant parfois à la méthode PECS [3][4]. La méthode PECS reste, d’après le Collectif, encore critiquable en raison du panel d’expressions, simple et limité, décidé par la personne valide pour la personne autiste, elle peut en revanche s’inscrire en dehors de l’ABA et de toute oralisation forcée. 

Privation de la capacité de décision tout en profitant des connaissances des autistes

Dernière chose étonnante, au décours de la journée : la présence de l’ entreprise  Auticiel, spécialisée dans la “co-construction” de logiciels et applications pour les autistes avec des personnes concernées, ces dernières dépendant toutefois d’établissements médico-sociaux. Si l’initiative semble honorable, certaines questions s’imposent au collectif.  Ces personnes sont-elles rémunérées pour leur conseil ? S’agit-il de contrat en milieu protégé? Les personnes handicapées vulnérables, vivant en institution où elles sont privées de capacité de choix, ne sont pas une main d’oeuvre exploitable sans rémunération. Nous relevons qu’à ce jour, aucune information précise n’est disponible sur leur site à ce sujet [5]. 

Plus cynique encore, la présentation d’une conférence basée sur la gestion du patrimoine… des personnes autistes, avec comme but la mise en place de la tutelle. Notre collectif rappelle, une nouvelle fois, que le régime de tutelle est contesté par l’article 12 de la convention de l’ONU. Une question nous met particulièrement mal à l’aise : ces familles souhaitent-elles réellement  priver leurs propres enfants de la possibilité de faire des choix et de prendre des décisions ? Le déroulement parallèle de ces deux conférences nous interpelle, et nous questionne en profondeur. 

Deuxième partie du programme de conférences présentant les approches PECS et ABA, Auticiel, le Reiki et le programme Sonrise du salon autisme 95.

Au service du système capacitiste contre les autistes

La présidente de l’association Autisme 95 déclarait récemment, dans le magazine Marianne, que son association faisait en sorte que les enfants autistes “apprennent tout ce qui est nécessaire à leur situation d’inclusion, en classe et dans la vie quotidienne comme écouter les consignes et adopter un comportement adapté en groupe par une socialisation ”. Nous voulons rappeler que la réelle inclusion consiste tout autant à l’adaptation du milieu à une diversité fonctionnelle, psychique et cognitive, et non d’imposer, au travers de méthodes ABA les plus rigides, maltraitantes et normalisatrices, à base de “tiens toi-droit” et “ne bouge pas les mains”, un comportement typique pour rentrer dans un système scolaire élitiste et inadapté.

Nous notons toutefois la cohérence du discours de l’association, qui indique, sur son site internet, n’accepter que les autistes “sages et autonome” à l’occasion de ses café-rencontres.

En conclusion, cette journée n’est pas sans nous rappeler l’image de l’auberge espagnole : un bric-à-brac hétéroclite et bien peu orthodoxe de “tout ce qui peut traiter l’autisme”. Les droits fondamentaux des personnes, autant que leur bien-être, semblent une nouvelle fois rabotés à la faveur du productivisme. Être valide ou se taire ? Quoi qu’il en soit, si la normalisation échoue, la tutelle et l’institutionnalisation semble encore rester l’alternative préférée. Nous le déplorons. 

Pour un accompagnement partagé, anti-capacitiste et pour le droit à exister dans la société

CLE Autistes rappelle que les méthodes éducatives, adaptées aux fonctionnements cognitifs des autistes, sont utiles pour apprendre, mais à la condition qu’elles ne consistent pas à renforcer des comportements neurotypiques au détriment de ceux autistes. Ces comportements sont importants, car ils constituent notre façon d’être au monde, et il nous semble hautement injuste de vouloir les supprimer parce qu’ils ne correspondent pas à la norme, ou peuvent nuire au confort de l’entourage. Seules les conditions négatives, qui nuisent à la qualité de vie de la personne, (comme ne pas reconnaître les émotions, gérer ses émotions et son anxiété) devraient être prises en charge. 

Vivre en société, pour les autistes comme pour chacun, s’apprend en se confrontant à la vie ordinaire et en développant un réseau de relations, à l’aide d’un accompagnement personnel (même 24h/24h) permettant la liberté et la vie autonome. 

Notes :

[1] Fondée par le chef de file du militantisme parental américain Bernard Rimland, l’ARI avait pour but d’aller contre la science officielle de l’autisme en se démarquant de la défense des méthodes comportementales à partir des années 70. Cet institut promeut des traitements alternatifs de l’autisme et son slogan est que “l’autisme est guérissable”. Il a créé le programme Defeat Autism Now! en 1995 et a porté la thèse que les vaccins causent l’autisme pour soutenir la chélation aux métaux lourds : une méthode dangereuse pour les enfants autistes.

[2] A noter que le CRAIF avait déjà soutenu cette méthode pour le 2 avril 2019 dernier alors qu’il se targue d’être le gardien des méthodes recommandées par la Haute Autorité de Santé. Comme les associations de familles représentées par le Collectif Autisme, dont Autistes sans Frontières est membre? En savoir plus sur les études et l’ésotérisme du Reiki : https://www.charlatans.info/reiki.shtml

[3] PECS : « Picture Exchange Communication System » , méthode permettant la communication alternative avant l’apparition du langage ou non. Elle est actuellement la seule méthode promue de communication alternative et augmentée pour les personnes autistes non-oralisantes. Malgré une certaine ancienneté, elle dispose de preuves limitées et faibles en terme d’augmentation des demandes et n’a aucune preuve d’amélioration de la communication sociale et de vocabulaire expressif, et cela ne se maintient pas dans le temps , selon la Cochrane, organisme d’évaluation des méthodes fondées sur les données probantes (evidence-based).

[4] Comme nous l’avions documenté dans notre dossier, ABA n’est pas plus “evidence-based” que PECS malgré les recommandations de la HAS ou sa promotion aux Etats-Unis et au Canada. La cochrane mentionne également une très faible qualité des preuves comme d’autres agences étrangères.

[5] On peut voir que le Dr Saravane et  le Dr Gepner ont accepté de faire parti du comité scientifique de cette entreprise. 

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